Métropoles : enjeux de nouveaux droits à conquérir et à renforcer pour d’autres mondes possibles. Regards croisés des autorités locales et de mouvements sociaux

par Caroline Patsias et David Custeau

Le titre même du panel peut sembler paradoxal. Pour les analystes, les Mouvements sociaux privilégient la protestation plutôt que la collaboration face au pouvoir. Certains d’entre eux voient d’ailleurs dans l’émergence de nouvelles instances de consultation le danger d’une instrumentalisation des forces sociales. De telles craintes sont loin d’être le seul fait des universitaires ; les acteurs aussi ont longtemps appréhendé la collaboration avec les autorités comme une trahison à la cause. Plusieurs raisons ont contribué à un changement des opinions et des pratiques. Compte-rendu d’une rencontre.

Participants :

Ateliers 1 : Gerard Perreau Bezouille, cité de Nanterre (France, Paris métropole) FAL/FALP, Stéphane Troussel, vice-président du Conseil général de Seine-Saint-Denis (France, Paris métropole), Eduardo Tadeou, cité de Verza Paulista (Brésil, métropole de Sao Paulo), Antonio José Araujo (Brésil, mouvement national de lutte pour le logement- MNLM, NO VOX, métropole de Sao Paulo), Gustave Massiah (France, ATTAC-AITEC), Jessica GROPP, (Sommet citoyen de Montréal).

Ateliers 2 : Patrick Braouzec (France, Plaine-Commune Saint-Denis, métropole parisienne), Réseau FAL/FALP, Christian Hervy, vice-président du Conseil général du Val-de-Marne (France, métropole parisienne- réseau FAL/FALP), Jorge Jairo, maire de Canoas (Brésil, métropole de Porto Alegre)- réseau FAL/FALP, maire de Getafe (Espagne, métropole de Madrid), Ana Teresa Vicente, maire de Palmera (Portugal, metropole de Lisbonne), représentant du réseau NO VOX.


D’abord la chute du mur de Berlin et le déclin d’un monde raconté à travers la confrontation de deux idéologies. Ensuite, la déliquescence du mouvement ouvrier dans les démocraties occidentales. Si ce contexte a ouvert une période difficile pour la gauche, il a aussi été marqué, au début des années 2000, par l’arrivée de celle-ci au palier local, notamment en France et au Brésil. Dans bien des cas, ce succès est dû aux mouvements sociaux, quand les partis au pouvoir ne sont pas une émanation directe de ces derniers. Pour Eduardo Taneu, maire deVerza Paulista, il y a un point de contradiction dans ce phénomène : les autorités publiques progressistes et les mouvements sociaux, luttant, à travers des moyens différents (les leviers du pouvoir pour les uns, la rue pour les autres) à la réalisation d’un même objectif, soit une ville plus juste et plus solidaire. Ces évolutions récentes ont érodé les visions par trop dichotomiques des relations entre mouvements sociaux et autorités locales. Non seulement l’opposition serait désormais caduque, mais d’aucun discerne dans l’action de certaines municipalités de nouvelles voies possibles aux transformations sociales (Taneau).

La collaboration entre les représentants institutionnels et les groupes de la société civile apparaît d’autant plus nécessaire aux panélistes que leurs villes, banlieues périphériques et populaires de grandes métropoles, sont, plus que d’autres, confrontées à d’épineuses problématiques sociales et urbaines que la crise ne peut qu’aggraver. Cette dernière réclame d’ailleurs la mise en œuvre d’innovations sociales, lesquelles font appel autant à la société civile qu’aux instances publiques. À cet égard, les représentants locaux insistent sur la nécessité d’une société civile structurée et soulignent que si les MS ont bien œuvré dans certains cas, à la victoire des forces de gauche (le Brésil et l’accession au pouvoir de Lula est ici un exemple significatif), ils ont aussi bénéficié de l’action des municipalités et de citer leur exemple respectif… Le premier élu de Versaz Paulista rappelle ainsi qu’à son arrivée au pouvoir, le travail de réforme a souffert d’une société civile faible et fragmentée (voire inexistante). Les pouvoirs publics ont alors incité à l’organisation des MS à travers de nouveaux organes institutionnels, lieux de rencontre des autorités locales et des MS, tels les budgets participatifs et autres formes de conseils à portée décisionnelle.

Le témoignage de Patrick Draouzec évoque la même réalité, à vingt ans d’intervalle cependant. Lorsque celui-ci a pris la tête de la commune de Saint-Denis dans les années 80, son ambition de rénovation urbaine s’est également heurtée à l’absence d’interlocuteurs. Avec son équipe, il a donc mis en place un conseil de quartier sous la responsabilité du maire adjoint de l’époque afin de travailler de concert avec les habitants. Comme le remarque l’ancien édile, le terme consacré était alors celui de « démocratie directe ». Ici une interrogation, que signifie l’évolution terminologique ? Engage-t-elle un changement de structure ? D’ambition ? Dans quel sens ? S’agit-il d’un approfondissement de la démocratie, et quid de l’intégration des MS dans cette transformation du processus décisionnel ?

Cette vision positive des relations entre MS et autorités locales ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les participants. Ainsi, le leader du mouvement national pour le logement, dénonce-t-il l’absence d’une politique globale au niveau national, et des conseils qui, selon lui, tournent souvent au dialogue de sourd. Les deux critiques ne sont d’ailleurs pas sans lien. Jusqu’à récemment, l’absence d’une politique nationale en matière de logement a entraîné la fragmentation et la faiblesse des solutions proposées au palier local, comme celle de conseils où la voix des MS avait relativement peu de poids. C’est l’émergence d’un plan national établissant les priorités en termes de logement sur 11 ans et d’un conseil national de l’habitat lequel subordonne l’obtention de fonds à l’instauration de conseils réellement participatifs qui a permis une amélioration de la participation.

Là où les Brésiliens insistent sur le rôle du centre dans l’émergence d’un véritable dialogue entre MS et autorités locales, les élus français soulignent au contraire, le danger d’un centre qui, de plus en plus, ne laisse que la portion congrue des politiques publiques (à savoir leur gestion) aux représentants locaux, se réservant le droit d’en changer les fondements. Cette évolution a conduit à des politiques sociales de plus en plus restrictives notamment quant aux critères présidant l’obtention des revenus sociaux minima. Les deux points de vue ne sont pourtant pas si éloignés. Ils rappellent implicitement que le cantonnement de la participation au palier local n’est pas exempt de risque : comment par exemple intervenir sur les politiques publiques structurantes élaborées au palier national et qui dessinent les marges d’action des acteurs locaux ? Pour le dire autrement, l’approfondissement de la participation et la collaboration entre MS et autorités publiques peut souffrir d’une vision qui privilégierait uniquement le palier local.

Si l’on peut regretter que la multiplicité des intervenants ait empêché une description plus approfondie, le débat soulevé par les acteurs renvoie à une question essentielle qui taraude à la fois les théoriciens de la démocratie comme les spécialistes des politiques publiques : à quel niveau décentraliser et comment ? Ou encore, comment concevoir et mettre en place une gouvernance multi-level et quelle serait la place des MS dans cette gouvernance ?

Récemment des auteurs comme Fung and Wright ou encore, dans le cas brésilien Baiocchi et Melo, ont souligné la nécessité d’une décentralisation intersectorielle réunissant l’ensemble des acteurs impliqués dans une politique publique. Cette décentralisation intersectorielle, outre la réunion de l’ensemble des points de vue et des perspectives, devrait aussi éviter, par la pluralité des intérêts en présence et l’arrivée de nouvelles équipes de gestionnaires, le maintien des logiques de clientèle et des anciens rapports de subordination. Car si la décentralisation autorise une meilleure prise en compte des logiques locales, elle ouvre aussi à la reproduction des systèmes de potenta locaux. De ce point de vue, les MS peuvent avoir un rôle de contrôle des autorités publiques. D’ailleurs, les témoignages des représentants des MS du panel montrent que ces derniers ne conçoivent pas leur volonté de coopération comme une entrave à leur capacité de résistance ou de protestation. Si les plaintes ont parfois évoqué la dimension « décorative » des nouvelles instances de consultation, les MS n’y voient pas le danger d’une instrumentalisation et demandent au contraire davantage de coopération et d’intégration (José Araujo). Là encore, on peut regretter que les acteurs, particulièrement les élus locaux, n’aient pas été plus éloquents quant aux conflits rencontrés avec les MS, particulièrement sur le long terme, lorsque surgissent les désaccords.

Si le faible nombre de panelistes empêche toute généralisation, il est toutefois suffisant pour affirmer que la décentralisation n’est pas le remède à tous les maux et qu’il reste primordial d’examiner le contexte dans lequel elle s’inscrit, comme les rapports de force en présence.

La décentralisation garantit une autonomie aux acteurs, mais cette autonomie doit elle-même disposer de garde-fous afin d’éviter les dérives. Le rôle des acteurs y est déterminant (partis politiques, MS). La réussite des nouvelles structures ne saurait, cependant, dépendre exclusivement de ces derniers, les instances étant alors à la merci d’un changement de pouvoir. L’enracinement dans des structures de nouveaux moyens de coopération est donc nécessaire. Comme l’illustrent les cas français et brésiliens, le défi réside dans la garantie d’une cohérence sans limiter pour autant les autorités locales à un rôle de simples gestionnaires qui colmateraient les dommages des politiques centrales, trop libérales. L’ouverture à une démocratie plus participative ne peut donc s’effectuer uniquement au palier local, même si celui-ci peut constituer un premier jalon voire un lieu de résistance, comme l’illustre le refus de certaines villes, aux côtés des MS, de signer les accords des AGCS ou de s’aligner sur la politique de Bush et le Patriot Act. De ce point de vue, le maire de Versapaulista a peut-être raison : à certains égards, des villes peuvent bien être considérées comme le prolongement des mouvements sociaux et de leurs luttes.

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06

03 2009

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