GUATEMALA : SORTIR DU GOUFFRE APRÈS 36 ANS DE CHAOS

Par Paméla Blais

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Source : Agence France-Presse Eltan Abramovich (http://www.ledevoir.com/international/amerique-latine/278279/l-entrevue-relents-de-guerre-civile-au-guatemala)

Démocratisation. Un mot populaire, facile à invoquer, à écrire dans des chartes et traités, mais plus difficile à mettre en pratique. Un mot qui signifie beaucoup et qui soulève bien de l’espoir. Presque quinze ans se sont écoulés depuis la fin du terrible conflit interne guatémaltèque qui ravagea le pays de 1960 à 1996. Le conflit, mettant en scène le gouvernement militaire de droite et l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG), une guérilla, fit plus de 150 000 morts et de nombreux disparus, majoritairement d’ethnie maya.[1] Ce n’est donc que depuis peu que les Guatémaltèques peuvent apercevoir la lueur de la paix et de la démocratie.

Comme pour plusieurs autres pays d’Amérique latine, la transition à la démocratie n’a pas été et n’est guère encore chose facile. En 1996, après maintes négociations, des accords de paix ont été signés entre les belligérants, enfin prêts à essuyer les dégâts et tenter de rétablir l’ordre dans le pays.[2] Comment le Guatemala s’est-il ainsi remis « choc » conflictuel et a-t-il pris le chemin de la démocratie après tant d’années de chaos?

D’abord, il faut comprendre que le Guatemala n’a pas passé du chaos à la démocratie du jour au lendemain. Le processus de paix était en branle bien avant 1996 et la transition démocratique est toujours en train de progresser aujourd’hui. En effet, depuis les années 1980, l’URNG désirait négocier la paix avec le gouvernement, qui lui, s’entêtait à croire en la victoire militaire.[3] C’est seulement en 1993, après un coup d’État raté et face à la pression internationale, que le gouvernement guatémaltèque s’est engagé dans une période de négociations.[4]

Ces négociations donnèrent place, dès 1994, à la signature de différents accords de paix concernant des éléments cruciaux : les droits de l’homme, l’identité et les droits des peuples indigènes, en plus du renforcement du pouvoir civil et le rôle des forces armées dans une société démocratique. Se rattachaient aussi à ces accords le cessez-le-feu du conflit, des réformes constitutionnelles et électorales ainsi que l’intégration de l’URNG comme parti politique. Subséquemment, l’Accord final de paix a été signé le 29 décembre 1996 laissant la porte grande ouverte vers la démocratisation pacifique du pays. [5]

À cette époque, déjà un grand pas avait été fait vers la démocratisation du Guatemala, mais ce n’était que le début d’un processus complexe, où l’État, les organisations internationales, les partis politiques et les organisations locales allaient devoir agir main dans la main. L’auteure Susanna Jonas, qui s’est penchée sur le processus de transition démocratique au Guatemala, a identifié quelques critères nécessaires à la démocratie. Elle souligne d’abord le pluralisme politique où la diversité des idées et des partis politiques se côtoient. Elle indique aussi la présence de justice sociale et de respect des droits de l’homme, particulièrement en ce qui concerne les indigènes mayas et les femmes au Guatemala. Néanmoins, elle insiste surtout sur un facteur des plus déterminants à la démocratie : la démilitarisation de l’État, faisant place à la société civile.[6] Il reste donc à savoir si le Guatemala a réussi à remplir ces critères.

Certainement, la réussite est partielle et grandement due à l’intervention internationale. Le début de la transition démocratique n’aurait probablement jamais été possible sans elle, en particulier sans les Nations Unies. Effectivement, une grande partie du processus de paix et de démocratisation a été supervisée par la mission onusienne du maintien de la paix MINUGUA (Mission de vérification des Nations Unies au Guatemala) lancée en 1994. Son large champ d’action était surtout axé sur la vérification et la construction des institutions guatémaltèques ainsi que sur le respect des droits de l’homme et l’impunité.[7] La présence de l’Organisation des États américains a aussi été d’une grande importance, surtout en ce qui concerne la supervision des élections et le rétablissement du gouvernement élu après le coup d’État de 1993.[8]

Du côté de l’État et de la gouvernance, il y avait et il y a toujours beaucoup de travail à faire. Nous en sommes venus à établir le pluralisme politique, des institutions législatives et judiciaires indépendantes, mais même aujourd’hui, la démilitarisation de l’État n’est pas complétée. Il suffit de se promener dans les rues de Guatemala City pour y voir de nombreux soldats patrouiller, armés jusqu’au coup et qui effraient le peuple.[9] Sans parler d’un autre problème majeur : l’impunité des responsables du massacre lié au conflit. Or, comment pourrions-nous punir ceux qui sont les proches alliés du gouvernement au pouvoir? [10]

Enfin, si nous devions choisir un mot qui caractérise le processus démocratique au Guatemala, ce serait la fragilité. Bref, malgré le rétablissement de la paix et le processus de démocratisation, le Guatemala fait toujours face à de graves problèmes tels que la pauvreté, le racisme, le crime et la violence ainsi que l’impunité post-conflictuelle et de sérieuses faiblesses dans les institutions, souvent inefficaces et corrompues.[11] Le pays est sorti du gouffre, mais il lui reste un bon bout de chemin pour terminer son ascension et atteindre le sommet de la démocratie et du développement.

Bibliographie

Gosselin, Guy, Gordon Mace et Louis Bélanger. 1995. « La sécurité coopérative régionale dans les Amériques : le cas des institutions démocratiques ». Études internationales 26 (no. 4) : 799-817.

Jonas, Susanne. 2000. « Democratization through Peace: The Difficult Case of Guatemala ». Journal of Interamerican Studies and World Affairs 42 (no. 4): v-38.

Nations Unies. Guatemala- MINUGUA. 2003. Background. En ligne. http://www.un.org/en/peacekeeping/missions/past/minuguabackgr.html (page consultée le 1er mars 2010).

Steinberg, Michael K. et Matthew J. Taylor. 2003. « Public Memory and Political Power in Guatemala’s Postconflict Landscape » Geographical Review 93(no. 4): 449-468.


[1] Jonas, p.10.

[2] Jonas, p.14.

[3] Jonas, p. 10.

[5] Jonas, p. 13-14

[6] Jonas, p.16.

[7] Nations Unies, en ligne.

[8] Gosselin, Mace et Bélanger, p. 809.

[9] Steinberg et Taylor, p.463.

[10] Steinberg et Taylor, p. 460.

[11] Steinberg et Taylor, p.465-466.

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03 2010

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