1964-1978 : DU DÉCOLLAGE AU CRASH AFGHAN

Par Delphine Meunier

La période 1964-1978 est décisive pour l’Afghanistan. Cela fait en effet presque 20 ans que le pays a commencé à se développer. Il rentre dans sa phase de décollage : va-t-il réussir ? Cet article se concentrera sur les grands bouleversements tant légaux, politiques que socio-économiques qui déterminèrent le sort du pays. L’idée générale sera que chaque effort était voué à l’échec parce qu,il n’y avait aucune relation gouvernement/population.

Le plus grand bouleversement au niveau légal est la création d’une Constitution en 1964. Elle garantie la liberté de presse, améliore la condition des femmes[1], tolère les partis[2]. Ce qui la rend particulière est qu’elle fit de l’Islam un pilier important du système judiciaire[3]. Toutefois, elle comprend des lacunes. Premièrement, elle sépare totalement l’exécutif du législatif : aucun travail coordonné est donc possible. Deuxièmement, les notions et institutions imposées par la Constitution sont occidentalisées, à l’image du gouvernement urbanisé et moderne. Elle manque ainsi de popularité auprès de la population majoritairement rurale et traditionnelle[4].

Elle stipule aussi que, là où les lois constitutionnelles ne sont pas appliquées, la Shari’a rentre en vigueur. Pendant l’écriture de la Constitution, il fut donc prévu qu’elle n’aurait pas d’impact sur la population. Le gouvernement avait conscience qu’il n’avait aucune main mise en province. Il fallait substituer les lois constitutionnelles par un élément rassemblant le plus d’Afghans possible. Dans un pays à 99% musulman[5], l’Islam apparaît comme la solution. Bien que sa création soit un point positif, la Constitution a peu d’impacts dans le pays.

En politique, il eut des efforts de démocratisation et d’organisation. Toutefois, l’éternel écart gouvernement/population subsiste. Qu’est-ce qui permet à ce fossé de durer ? La politique afghane suit la logique suivante : le gouvernement est centralisé, les provinces sont autonomes. Par exemple, l’État est censé s’occuper de l’éducation, de l’aménagement du territoire etc. Or, ce sont les provinces qui gèrent cela. Ainsi, le taux d’alphabétisation aussi bien que le développement du réseau routier varient d’une province à l’autre[6]. Il n’y a donc pas de coordination entre le centre et la province, ni entre provinces.

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Photo : Village Afghan en 1970. Source: Alain Meunier

Pourquoi le gouvernement, pendant cette période, n’a pas su régler cette situation ? La raison principale est que son programme de développement en lui-même ne règle pas ce problème. La capacité du gouvernement à planifier et à mobiliser des ressources pour développer l’Afghanistan est faible. Par exemple, le gouvernement n’a pas su utiliser à bon escient les avantages comparatifs du pays[7]. La stratégie des avantages comparatifs consiste en se spécialiser dans la production d’un bien qui coûtera le moins pour rapporter le plus[8]. Le point fort de l’Afghanistan est l’agriculture.

Voyons en quoi cet atout sera mal géré. Rappelons que nous sommes en pleine Guerre froide. Les deux blocs (capitaliste et communiste) se battent pour se partager le monde. L’Afghanistan n’échappe pas à ce duel. Ainsi, pour s’assurer l’appui du pays, les deux blocs l’aident à se développer. Ils influencent donc l’orientation que prendront les programmes de développement. Par exemple, l’USAID (United-States Agency for International Development) affirme que le commerce est la clé pour un Afghanistan moderne. D’autre part, L’URSS postule que l’industrie lourde est la solution[9]. En voulant suivre leur propre logique, tous deux oublient (ou ignorent ?) que l’avantage du pays est son agriculture. Quelle en est la conséquence ? Certains secteurs seront développés, un bloc en financera un sans prendre en compte les autres financés par le bloc adverse. Ce manque de coordination aboutie à un développement anarchique.

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Photo : Remarquez à gauche des écriteaux en russe et à droite en anglais, signe de l’impact de la Guerre froide en Afghanistan en 1970.  Source : Alain Meunier

Au niveau socio-économique, il y a beaucoup d’améliorations. Six banques dont trois spécialisées dans un secteur sont créées. La monnaie papier prend sa place, formant une base pour une véritable économie nationale prenant le pas sur l’économie des rues. À la toute fin des années 1970, le gouvernement se rend compte qu’il faut développer l’agriculture. Les fertilisants sont plus utilisés, les investissements augmentés[10].  Qu’est ce qui a pu vouer à l’échec tous ces efforts ? La réponse demeure l’écart centre/province et gouvernement/population.

Prenons la dimension sociale. Le financement et l’accessibilité des services sont inégaux selon si on se trouve en province ou en ville. C’est le cas de la santé et de l’éducation, qui sont pourtant capitales pour le développement d’un pays. Ainsi, entre 1976-1977, 0,65% des dépenses publiques sont consacrées à la santé, et 1,7% à l’éducation. C’est très peu par rapport aux autres dépenses publiques par exemple dans l’armement.  De même, en 1977-1978, presque 50% des dépenses dans les hôpitaux se firent pour des hôpitaux urbains. De plus, 61% des femmes du secondaire viennent de Kaboul seul[11].

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Photo : École afghane de province en 1970. Source : Alain Meunier

En économie, cet écart se traduit par la fragmentation de l’économie de centre et des provinces. Par exemple, le prix pour un même produit n’est pas partout le même[12]. Non seulement l’État ne répond pas aux besoins essentiels des Afghans, il privilégie en plus le centre. Ceci rend impossible le développement de l’Afghanistan.

Nous pouvons conclure que la période 1964-1978 est un moment crucial dans l’histoire afghane : les programmes de développement mis en place depuis 20 ans allaient-ils porter leurs fruits ? Nous avons vu que non à cause du fossé entre le gouvernement/centre et la population/périphérie. Néanmoins, un événement va venir chambouler l’Afghanistan. En effet, le 27 avril 1978, le Parti Démocratique du Peuple Afghan, communiste, fait un coup d’État[13]. Les conséquences seront alarmantes pour la nation afghane.

Bibliographie

Etling, Bruce. 2003. Legal Authorities in the Afghan Legal System. En ligne.

http://www.law.harvard.edu/programs/ilsp/research/etling.pdf (page consultée le 26 février 2010)

Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010).

Fry, Maxwell J. 1974. The Afghan Economy: Money, Finance and the Critical Constraints to Economic Development. Leiden : Brill.

Haider, Habib et François Nicolas,. 2006. Afghanistan : Reconstruction et Développement. Gémenos : Autres Temps.

Lassudrie-Duchêne, Bernard et Deniz Ünal-Kesenci. 2001. « L’Avantage Comparatif, Notion Fondamentale et Controversée ». Dans Stéphane Dées et al., L’Économie Mondiale 2002. Paris, France : Éditions La Découverte, 90-104

Rasanayagram, Angelo. 2003. Afghanistan: a Modern History. New-York : I.B. Tauris.

United-States Agency for International Development. 1978. Country Development Strategy Statement: Afghanistan 1978. En ligne. http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PDACC775.pdf (page consultée le 12 février 2010).


[1] Habib Haider, Afghanistan : Reconstruction et Développement (Gemenos : Autres temps, 2006), 55.

[2] Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010).

[3] Etling, Bruce. 2003. Legal Authorities in the Afghan Legal System. En ligne.

http://www.law.harvard.edu/programs/ilsp/research/etling.pdf (page consultée le 26 février 2010)

[4] Angelo Rasanayagam, Afghanistan:a Modern History (New York : I.B. Tauris, 2003), 41.

[5] Etling, Bruce. 2003. Legal Authorities in the Afghan Legal System. En ligne.

http://www.law.harvard.edu/programs/ilsp/research/etling.pdf (page consultée le 26 février 2010)

[6] Maxwell J. Fry, The Afghan Economy: Money, Finance and the Critical Constraints to Economical Development (Leiden : Brill, 1974), 60.

[7] États-Unis, United-States Agency for International Development, Country Development Strategy Statement: Afghanistan 1978 (États-Unis : United-States Agency for International Development, 1978), 1.

[8] Bernard Lassudrie-Duchêne et Deniz Ünal-Kesenci, « L’Avantage Comparatif, Notion Fondamentale et Controversée » dans Stéphane Dées et al. L’Économie Mondiale 2002 (Paris, France : Éditions La Découverte 2001), 90.

[9] États-Unis, United-States Agency for International Development, Country Development Strategy Statement: Afghanistan 1978 (États-Unis : United-States Agency for International Development, 1978), annexe C, 1.

[10] Maxwell J. Fry, The Afghan Economy: Money, Finance and the Critical Constraints to Economical Development (Leiden : Brill, 1974), 11-12.

[11] États-Unis, United-States Agency for International Development, Country Development Strategy Statement: Afghanistan 1978 (États-Unis : United-States Agency for International Development, 1978), 14 et annexe B, 9.

[12] Maxwell J. Fry, The Afghan Economy: Money, Finance and the Critical Constraints to Economical Development (Leiden : Brill, 1974), 61.

[13] Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010).

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03 2010

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