LA GUERRE DU VIETNAM : MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT?

Par Jean-François Roof

Le développement du Vietnam fut modelé par la guerre contre la France et surtout celle contre les États-Unis. En effet, pour réussir à gagner contre une superpuissance, il fallait être en mesure de mobiliser la population et d’importantes ressources. La guérilla occupait les majorité des efforts. En termes relatifs, il est possible d’affirmer que la planification du Parti communiste vietnamien est un succès, puisque les plans sont venus à bout du géant américain, mais en termes absolus, le succès économique du Vietnam suite à cette guerre est un argument difficile à défendre[1]. La guerre a tronqué le développement dans la partie sud du pays, alors que la partie nord

Comme nous l’avons vu précédemment, la théorie de la modernisation était une des théories dominantes dans le domaine du développement à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Elle a naturellement été adopté dans la politique étrangère américaine, notamment en Asie. On ne peut guère s’étonner alors de la présence de Rostow comme conseiller au Conseil de sécurité nationale pendant la Guerre du Vietnam. La théorie de la modernisation voyait le capitalisme comme le principal mode de développement, en réaction contre le communisme qui se répandait dans les pays nouvellement indépendants, comme par exemple en Europe de l’Est mais aussi en Asie. En offrant un modèle de compréhension de la réussite des pays industrialisés, on faisait le pari que les pays en développement choisirait celui-ci  en profitant des investissements étrangers et de la protection américaine (particulièrement visible avec le partenariat États-Unis-ASEAN). On mettait dès lors l’accent sur la libre-entreprise, le rôle-clé de l’État, les investissements de capitaux, etc.  Le rôle central de l’État était particulièrement important en Asie où les pays nouvellement indépendants devaient compter sur un État fort pour mener à bien le projet national, au niveau de l’identité collective mais aussi aux niveaux économiques et politiques. Un effort américain est alors palpable au Vietnam-Sud afin d’éradiquer le sentiment communiste et aider à l’édification d’un État fort. Les théories de la modernisation ont néanmoins subie quelques réformes à mesure que le conflit au Vietnam s’intensifiait. Ainsi, la priorité américaine allait d’abord à l’ordre et la stabilité de la région par des mesures militaires et politiques plutôt qu’une approche économique libérale[2]. Le régime du Vietnam-Sud, bien qu’identifié comme faisant partie du monde libre, restait néanmoins corrompu et incapable de remplir les inspirations du peuple vietnamien, malgré ce qu’en disent les officiels de l’époque[3]. On constate alors que le développement selon une perspective moderniste s’appliquait au Sud pour pouvoir réunifier le pays avec, au pouvoir, un gouvernement subordonné aux intérêts américains.

Forces de la République du Vietnam, allié des Américains

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En ce qui a trait au Vietnam-Nord, le Parti Communiste disposait de modèles différents, mais ayant tout de même laissés leurs traces dans l’histoire. Le Parti de Staline et le Parti de Mao formaient à cette époque les bases de la révolution communiste. L’accent portait principalement sur les réformes agraires. Si les terres étaient reprises aux nobles de la tradition féodale vietnamienne, il n’en demeure pas moins que les paysans ne bénéficiaient pas davantage du fruit de leur labeur, puisque les terres étaient collectivisées au service de l’État[4]. Le second domaine de prédilection fut l’industrialisation et la modernisation du transport, domaines influents sur le résultat d’une guerre. Cela permettait d’augmenter les capacités du Vietnam communiste tout en améliorant la mobilité de la guérilla[5].

Évolution de l’armement de la République démocratique du Vietnam, en guerre contre les États-Unis et le Vietnam-Sud

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Gabriel Kolko fait appel à une démonstration d’une économie subordonnée aux orientations et aux directives politiques du régime communiste vietnamien. Pourtant le marxisme perçoit le monde comme une infrastructure économique qui détermine toutes les autres structures, dont la superstructure politique. Sa théorie pourrait expliquer, selon lui, pourquoi les pays communistes adoptent des choix « non-rationnels » dans une perspective de productivité et d’efficacité[6]. Pour faire plus simple, selon les conceptions du moment, les communistes sont plus enclins à adopter certaines politiques économiques moins efficaces qui légitiment néanmoins le régime en place et ne remettent pas le système en question. En ce qui a trait à l’industrialisation, le Vietnam s’est surtout tourné vers la Chine, qui était un exemple de révolution réussie. L’industrie lourde était plutôt difficile à faire décoller, faute de ressources en quantité suffisante, mais l’industrie légère était plutôt fonctionnelle, sans être florissante.

L’échec d’un développement florissant en terre vietnamienne peut être inculpé à la corruption de la classe bureaucratique et son inefficacité à adopter les avis provenant de conseillers étrangers, la dépendance vis-à-vis l’aide financière et matérielle soviétique et chinoise[7], mais également l’effort de guerre dans lequel les ressources étaient investis pour unifier la nation. On peut légitimement se questionner pourtant sur la potentialité du développement vietnamien en temps de paix. Les modèles de développement se veulent universels mais doivent être réappropriés selon les habitudes locales pour fonctionner, et encore, le succès n’est pas garanti. Lors du prochain billet, nous explorerons dès lors le développement du Vietnam vers la fin de la Guerre froide, pour survoler les différences dans un Vietnam en paix.

Bibliographie

Berger, Mark. T. 2003. «  Decolonisation, Modernisation and Nation-Building: Political Development Theory and the Appeal of Communism in Southeast Asia, 1945-1975 ».  Journal of Southeast Asian Studies, Vol. 34, No. 3: 421-448.

Duncanson, Dennis. 1992. « The Legacy of Ho Chi Minh ». Asian Affairs, Vol. 23, No 1: 49-64.

Kolko, Gabriel. 1988. «  The Structural Consequences of the Vietnam War and Socialist Economic Transformation ». Journal of Contemporary Asia, Vol. 18, No 4: 473-482.

Tran, Van Do. 1967. « What We Are Fighting For ». Vietnam Perspectives, Vol. 2, No. 4: 27-38.

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[1] Gabriel Kolko, « The Structural Consequences of the Vietnam War and Socialist Economic Transformation », Journal of Contemporary Asia, Vol. 18, No 4 (1988) p.473.

[2] Mark T. Berger, « Decolonisation, Modernisation and Nation-Building: Political Development Theory and the Appeal of Communism in Southeast Asia, 1945-1975 », Journal of Southeast Asian Studies, Vol. 34, No. 3 (2003), 441.

[3] Voir la retranscription de discours de Tran Van Do, Ministre des Affaires Étrangères de l’époque dans Tran Van Do, « What Are We Fighting For », Vietnam Perspectives, Vol. 2, No 4 (1967), 27-38.

[4] Dennis Duncanson, « The Legacy of Ho Chi Minh », Asian Affairs, Vol. 23, No 1 (1992), 51.

[5] Gabriel Kolko, « The Structural Consequences of the Vietnam War and Socialist Economic Transformation », Journal of Contemporary Asia, Vol. 18, No 4 (1988) p.477.

[6] Ibid. 477-478.

[7] Dennis Duncanson, « The Legacy of Ho Chi Minh », Asian Affairs, Vol. 23, No 1 (1992), 55.

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03 2010

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