DÉVELOPPEMENT ET INTERVENTION MILITAIRE PEUVENT-ILS COHABITER ? LE CAS AFGHAN

Par Laura Hébert

Après plusieurs décennies de conflits et d’oppression, l’Afghanistan est un des pays les moins développés et les plus pauvres du monde. Le pays a profité de près de 10 ans de reconstruction suite au retrait de l’URSS en 1992 ; la Croix-Rouge, les Nations Unies et les ONG ont tenté de restaurer l’agriculture et de fournir les services de base aux populations. Toutefois, avec la prise du pouvoir par les Talibans l’insécurité s’intensifie grandement. En octobre 2001, les forces américaines, dans le cadre d’une opération de l’OTAN, renversent le régime taliban et s’efforcent, depuis, de ramener un semblant de stabilité au sein du pays et de remettre son économie sur pied.
Dans ce billet, nous tenterons de voir dans quelle mesure il est possible de reconstruire un État dévasté, tel l’Afghanistan, où le pouvoir est fragmenté, en parallèle avec l’intervention militaire. Est-ce que le processus de développement et des forces d’armée extérieures peuvent réellement cohabiter ? Nous verrons donc que d’abord et avant tout l’intervention militaire ne répondait pas à une nécessité de développement, mais plutôt à une menace, ce qui complique la donne. De plus, la difficile collaboration entre les militaires et l’aide humanitaire rend également le développement difficile.

C’est dans l’optique d’une « guerre contre le terrorisme » en réponse aux attentats du 11 septembre 2001 qu’a lieu l’intervention militaire de l’OTAN en Afghanistan. Les États-Unis n’y sont pas allés dans un but premier d’aider les populations, mais plutôt afin de contrer une menace à la sécurité et à la stabilité internationale. Ce fait transforme relativement le « post-conflict recovery », alors que l’assistance se présente en plein cœur du conflit. Les militaires deviennent ainsi un acteur qui tente de changer le cours du conflit[i]. Il devient alors ardu pour les civils afghans de reconnaître les militaires des agents humanitaires qui eux, agissent en périphérie des conflits pour prodiguer les secours d’urgence et de satisfaire les besoins essentiels. Par ailleurs, Barakat et Zyck remarquent que l’Afghanistan est l’endroit où les leçons des expériences d’interventions militaires passées n’ont pas été retenues, un agenda a été imposé et priorisant la sécurité parfois au détriment des civils, qui ont été nombreux à périr accidentellement sous les bombardements militaires[ii].

Le fait que les forces militaires et humanitaires évoluent sur un même terrain ne facilite absolument pas la tâche du développement et de la reconstruction afghane, au contraire. En fait, les ONG présentes sur le terrain déplorent l’instrumentalisation de l’aide humanitaire par les militaires. Chez la population civile, il se crée une confusion entre ceux qui viennent aider et l’armée, ce qui l’aliène[iii]. Même s’il existe certains exemples de collaboration entre les deux groupes, comme une rencontre d’échange et de planification initiée par les militaires, en Floride[iv], la situation est plus souvent tendue. Sur le terrain, les forces armées agissent en tant qu’acteurs du conflit et ne pouvant donc être impartiaux, ce qui rend pénibles les mécanismes de coordination civil-militaire. Enfin, les ONG reprochent souvent aux militaires d’empiéter sur leur domaine, ce qui rend difficile le travail en parallèle de l’assistance humanitaire et de l’intervention militaire. À notre avis, il faut d’abord être un acteur neutre pour contribuer convenablement au développement, puis, on ne peut faire à la fois du « peace building » et du « nation building ». De plus, la présence des forces armées rend également difficile la participation du pouvoir local au développement, condition fondamentale de la reconstruction efficace d’un État déchu.

Par ailleurs, en analysant la situation sous un autre angle, on peut voir l’intervention américaine comme une action impérialiste des États-Unis. Certes, les forces armées sont venues sécuriser le pays, mais leurs tentatives de développement ne seraient-elles pas qu’un moyen d’imposer leur puissance, une forme de néocolonialisme, tel que l’ont dénoncé les auteurs néo-marxistes ? En outre, la présence de compagnies américaines privées sur le terrain qui profitent de la situation conforte cette hypothèse. Le développement de l’Afghanistan, la reconstruction de ses institutions ainsi que le redémarrage de son économie n’étaient donc pas ce qui comptait le plus aux yeux des dirigeants américains quand ils ont décidé d’envoyer des militaires en sol afghan. C’est donc un exemple concret démontrant que trop souvent, l’intervention militaire est malheureusement incompatible avec le développement.

En somme, l’Afghanistan est un pays fragile, où les besoins essentiels ne sont pas toujours satisfaits. Il est victime de l’inégalité de distribution des ressources naturelles[v],  comme par exemple l’eau dont il dispose en faible quantité. Selon Haider et Nicolas, la situation de l’Afghanistan est liée à son manque d’ouverture sur le monde et non à cause qu’il a été surexploité par les puissances occidentales[vi]. Il n’est pas victime de ce que Gunder Frank a appelé le développement du sous-développement. La présence de l’armée ne vient assurément pas améliorer la situation afghane en termes de développement. Mais, cette présence n’est pas mauvaise en soi. Il y a probablement des alternatives en ce qui concerne le développement du pays, en s’assurant d’impliquer les populations locales et d’effectuer une distinction claire entre les militaires et humanitaires, à moins que les militaires agissent plutôt comme des Casques Bleus que comme une partie prenante au conflit. Car ce que la situation afghane montre c’est que développement et intervention militaire ne peuvent que difficilement cohabiter.

Bibliographie

Barakat, Sultan et Zyck, Steven A. 2009. «The Evolution of Post-conflict Recovery». Third World Quarterly 30: 1069-1086.

Haider, Habib et François Nicolas. 2006. Afghanistan : Reconstruction et développement.Éditions Autres Temps.

Marsden, Peter. 2003. « Afghanistan: The Reconstruction Process ». International Affairs (Royal Institute of International Affairs 1944-) 79 (janvier): 91-105.

Seybolt, Taylor B. 2009. « Harmonizing the Humanitarian Aid Network: Adaptive Change in aComplex System ». International Studies Quarterly 53 :1027–1050.


[i] Sultan Barakat et Steven A. Zyck, p. 10.

[ii] Sultan Barakat et Steven A. Zyck, p. 9.

[iii] Peter Marsden, p. 11.

[iv] Taylor Seybolt, p. 17.

[v] Habib Haider et François Nicolas, p. 27.

[vi] Habib Haider et François Nicolas, p. 131.

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03 2010

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