DE LA MONTÉE D’UN PETIT BUSINESS

Par Marit Firlus

Jusqu’à présent l’histoire du mouvement du commerce équitable est sans aucun doute une histoire de succès. Les chiffres concrets de la vente à l’échelle internationale sont assez impressionnants pour justifier ce point de vue. La vente des produits certifiés équitables a vu une croissance de 483 % entre 1998 et 2005, et de 22 % en 2008 seulement1. Au Canada, le marché pour le commerce équitable s’accroît continuellement si l’on en croit les statistiques actuelles de TransFair Canada sur le volume des ventes des 12 produits certifiés les plus vendus2.

Bien que l’existence du commerce équitable soit largement perçue dans tout le monde grâce à sa médiatisation forte, les connaissances du consommateur sont souvent limitées au niveau symbolique. On ne sait donc pas si le consommateur se rend compte de ce qui se cache exactement derrière « un prix juste », un produit « équitable » ou les différents logos multicolores utilisés pour identifier ces produits.

Corinne Gendron, professeure titulaire au département Stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), atteste que le commerce équitable se voit face à « une crise identitaire »3. Dans un essai critique de 2004 elle explique plus précisément que « le commerce équitable s’émancipe des cercles militants et de la marginalité, il s’inscrit de plus en plus dans une logique et des institutions commerciales traditionnelles où il risque de perdre le caractère distinctif sur lequel repose son existence même »4.

Il me paraît nécessaire de me pencher plus profondément sur la naissance du mouvement pour mieux comprendre son succès et la crise à laquelle il est confronté après la fin millénaire.

Pendant les années 40 et 50 plusieurs organisations non-gouvernementales, comme Mennonite Central Commitee (MCC), Sales Exchange  For Refugee Rehabilitation and Vocation (SERRV) et OXFAM (Oxford Commitee for Famine Relief), ont lancé des projets d’un « commerce de la charité »5 comme par exemple la vente de produits artisanaux fabriqués par des communautés défavorisées ou des réfugiés pour ensuite investir les bénéfices dans le développement communautaire ou l’aide humanitaire. Toutefois ces initiatives ne critiquaient pas concrètement la structure du système économique international6 mais elles constituaient plutôt une alternative de financement pour des projets de l’aide au développement.

La naissance de l’idée d’un commerce alternatif avec sa notion « Nord-Sud », qui implique la perception de la structure du commerce international et des termes d’échanges comme inégaux et à la racine du sous-développement, est liée à la Conférence de la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) à Genève en 1964. Sous le slogan « Trade, Not Aid! » les pays du Sud revendiquaient la chose suivante: mettre le commerce au service du développement pour enfin établir des échanges commerciaux plus justes et donc, équitables. Ces revendications s’inscrivent dans le mouvement du tiers-mondisme qui émerge au début des années 707.

Le concept de boutiques spécialisées, vendant des produits artisanaux provenant directement des producteurs du Tiers Monde, est né dans les années suivant cette conférence et il s’est diffusé rapidement partout en Europe. Peu à peu, ces boutiques ont commencé à intégrer des produits alimentaires dans leur gamme de produits8.

L’institutionnalisation du commerce équitable est liée à la naissance de la certification. Le premier logo était créé en 1988 par l’association Max Havelaar et il est aujourd’hui le logo qui certifie les produits équitables sur le marché européen. Selon Gendron, Torres et Bisaillon la labellisation « correspond à une véritable innovation sociale » et elle a « ouvert une nouvelle ère pour un mouvement qui a résolument quitté la marginalité en s’adressant au consommateur « ordinaire » dans ses lieux d’achat traditionnels »9.

N’étant qu’un commerce caritatif dans les années 50, le mouvement du commerce équitable s’est radicalisé en demandant le renversement du système économique lors de la Conférence de Genève pour enfin s’institutionnaliser au sein du commerce traditionnel en visant le consommateur ordinaire.

Selon Gendron, c’est exactement le point crucial de la crise actuelle du commerce équitable: « le consommateur du Nord peut s’acheter bonne conscience à peu de frais » 10 à travers la logique « commerce égal développement » et « se donner des allures de militant tout en restant passif »11. Ce phénomène, qu’elle appelle « marchandisation éthique »12, permet à la population du Nord de consommer et d’aider au même temps en banalisant les grands problèmes et inégalités qui  définissent encore le commerce international aujourd’hui.

Le consommateur ordinaire qui achète son café matinal équitable chez Starbucks, pense-t-il  renverser l’ordre économique mondial?

Jadis, le commerce équitable devait représenter une alternative au marché libre dans lequel il est aujourd’hui parfaitement inscrit. Suite à sa commercialisation, le mouvement du commerce équitable va en conséquence être obligé de se questionner sur la justification de son existence, ses enjeux et ses stratégies.

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1 Raynolds, Murray et Wilkinson, pp. 21-22

2 TransFair Canada, en ligne.

3 Deglise, en ligne.

4 Gendron, p. 6, en ligne

5 Gendron, Torres et Bisaillon. p. 12

6 Gendron, Torres et Bisaillon, p. 12; Bécher et Toulouse pp. 21-22

7 Bécheur et Toulouse 2008, 22;  Gendron, Torres et Bisaillon, pp. 12-13

9 Gendron, Torres et Bisaillon, pp. 14-15

10 Gendron, p. 22, en ligne. Id.

11 Id.

12 Id

Bibliographie

Bécheur, Amina et Nil Toulouse. 2008. Le commerce équitable. Entre utopie et marché. Paris: Librairie Vuibert.

Deglise, Fabien. 2009. « Le commerce équitable en crise de croissance ». Le Devoir (Montréal). En ligne. http://www.ledevoir.com/societe/consommation/247845/le-commerce-equitable-en-crise-de-croissance (page consultée le 10 février 2010).

Gendron, Corinne. 2004. Le commerce équitable: un nouveau mouvement social économique au coeur d’une autre mondialisation. Cahier de recherche conjoint: Chaire de coopération Guy Bernier et Chaire de responsabilité sociale et de développement durable. Les cahiers de la Chaire – collection recherche (no 02-2004). Université du Québec à Montréal. En ligne. http://www.crsdd.uqam.ca/Pages/docs/pdfCahiersRecherche/02-2004.pdf (page consultée le 2 février 2010).

Gendron, Corinne, Arturo Palma Torres et Véronique Bisaillon. 2009. Quel commerce équitable pour demain? Pour une nouvelle gouvernance des échanges. Montréal: Éditions Écosociété, et Paris: Éditions Charles Léopold Mayer.

Raynolds, Laura T., Douglas Murray et John Wilkinson. 2007. Fair Trade. The challenges of transforming globalization. London et New York: Routledge.

TransFair Canada. 2008. Fair Trade in Canada-Volumes. En ligne. http://transfair.ca/en/about-fairtrade/facts-figures (page consultée le 10 février 2010).

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02 2010

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