L’INCIDENCE DU COLONIALISME : LUMIÈRE CIVILISATRICE OU TÉNÈBRES ABYSSALES? LE CAS VIETNAMIEN

Par Jean-François Roof

Le discours civilisateur des grands empires n’est plus à présenter. Sous prétexte de développer ce qui deviendra des colonies sous leur autorité et d’éduquer sa population, les empires occidentaux ont réussi à asseoir leur pouvoir en Afrique et en Asie. Comme chacun s’en doute, ces actes n’étaient pas innocents et sous-tendaient la nature mercantile des relations entre la métropole et les colonies. La colonisation a dès lors laissé sa trace dans les anciennes colonies et c’est pourquoi il est important de connaître le contexte dans lequel s’est amorcé le développement dans ces pays. Plus encore, les pays qui, comme le Vietnam, ont embrassé le communisme pour se délivrer du fardeau colonial et développer le pays comme bon leur semble ont suivi un trajet particulier. Nous tenterons donc de découvrir comment le colonialisme a formé la base économique du Vietnam, tout en suscitant une réaction nationaliste.

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Le capitalisme est apparu au Vietnam dès l’établissement des Français en Indochine. L’économie de la colonie fut pensé selon les besoins de la métropole française. Puisque la France était en plein essor industriel et qu’elle ne pouvait pas se permettre la moindre compétition, les investissements et les infrastructures concernaient surtout le domaine des ressources naturelles, telles que les plantations de caoutchouc et les mines. Le développement de la colonie se fonde sur deux piliers principaux : le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale tournée vers l’exportation et l’introduction de machineries liées à l’extraction de ressources[1], ces deux domaines demeurant toujours aux mains des expatriés français. L’industrialisation du pays reste tout de même limitée, puisque l’État accordait des monopoles aux investisseurs, qui n’étaient pas intéressés dans les secteurs autres que primaires. La concurrence avec la métropole était d’ailleurs hors de question. Les besoins de la métropole dictent dès lors le type et le rythme de production.

On semble reconnaître ici les approches semblables du développement plus contemporain qui se sont méritées les foudres des théoriciens de la dépendance. Ceux-ci démontrent l’industrialisation des anciennes colonies comme étant dépendantes des capitaux et du savoir étranger. Les périphéries ne peuvent alors que se concentrer sur la production des matières premières nécessaires aux industries du centre[2].

La théorie de la modernisation supposait plutôt que les anciennes colonies devaient suivre l’exemple des pays occidentaux en permettant l’émergence d’une bourgeoisie qui, en raison de ses qualités rationnelles, serait en mesure d’investir (et réinvestir) dans des secteurs à haut taux de croissance (dont certaines industries auront un effet d’alimentation sur d’autres, dans une croissance exponentielle). Le grand tort attribué à Rostow, pionnier de la théorie de la modernisation, est sans doute d’avoir négligé la compétition à laquelle font face les anciennes colonies, non seulement entre elles mais aussi contre des adversaires plus avancés.

Ces théories seront explorées plus en détail lors des prochains billets. Le point qui semble important à préciser ici est justement la non-possession de moyens de production autochtones pendant l’ère coloniale. Les paysans, privés de leurs moyens de subsistance, se voient forcés de travailler pour l’administrateur français sans recevoir le fruit de leur travail. On peut difficilement s’étonner que ceux-ci soient les plus grands supporters des factions communistes, qui réussissent à mobiliser la population insatisfaite du régime dans une tendance nationaliste et anti-coloniale somme toute violente[3]. Malgré une tentative de réformes libérales par un gouvernement colonial représenté par des socialistes, les mouvements d’indépendance n’en ont été qu’exacerbés. L’échec des réformes démontre l’approche paternaliste du régime : « Ainsi, peu à peu, à ces indigènes, vous donneriez une patrie. Alors, ils ne parleront plus d’indépendance, parce que leur vie sera liée à la nôtre, parce qu’ils auront la notion claire que si la France les abandonnait, ils perdraient l’indépendance relative et progressive qu’elle leur a donné »[4].

L’élite vietnamienne n’est pas non plus en mesure de modérer la population puisqu’elle est considérée comme à la solde du gouvernement colonial. Le vide est comblé par la dialectique marxiste, qui refuse à la fois la domination d’une classe sur les autres et l’impérialisme des grandes puissances. On comprendra pourquoi le Vietnam, une fois l’indépendance acquise, s’est orienté dans une politique de développement particulière. Le peuple vietnamien a voulu se redonner les moyens de production et l’élite politique a changé. L’économie s’est tournée vers l’intérieur pour éviter d’être la proie de l’impérialisme et de devenir à nouveau dépendante. Néanmoins, l’industrialisation limitée sous le régime français et les conflits militaires ralentiront de façon substantielle l’auto-développement vietnamien. C’est dans cette perspective que nous toucherons au développement dans une perspective communiste au Vietnam, en la mettant en relation avec le développement du Tiers-Monde, officiellement non-aligné, mais en voie d’amorcer une économie capitaliste.

Bibliographie

Pierre Beaudet et coll. 2008. Introduction au développement international : Approches, acteurs et enjeux. Ottawa: Les Presses de l’Université d’Ottawa.

Hemery, Daniel. 1977. « Aux origines des guerres d’indépendance vietnamiennes: pouvoir colonial et phénomène communiste en Indochine avant la Seconde Guerre mondiale ». Le Mouvement social, No. 101: 3-35.

Kratoska, Paul. 1999. « Nationalism and Modernist Reforms », dans Nicholas Tarling, dir., The Cambridge History of Southeast Asia Vol. 3, Cambridge: Cambridge University Press. 245-286.

Murray, Martin J. 1980. The Development of Capitalism in Colonial Indochina (1870-1940). Berkeley/Los Angeles: University of California Press.


[1] Martin J. Murray, The Development of Capitalism in Colonial Indochina (1870-1940), (Berkeley/Los Angeles: University of California Press, 1980) 17.

[2] Suzanne Dansereau, « Les théories du développement : Histoire et trajectoires », dans Pierre Beaudet et coll.,  Introduction au développement international : Approches, acteurs et enjeux (Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa: 2008) 47-48.

[3] Paul Kratoska, « Nationalism and Modernist Reforms », dans Nicholas Tarling, dir., The Cambridge History of Southeast Asia Vol. 3 (Cambridge: Cambridge University Press, 1999) 276.

[4] Discours d’un député français dans Daniel Hemery, « Aux origines des guerres d’indépendance vietnamiennes: pouvoir colonial et phénomène communiste en Indochine avant la Seconde Guerre mondiale », Le Mouvement Social, No 101 (1977), 9.

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03 2010

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