LE MEXIQUE ET L’ALENA

Par Mijail Raigorodsky

L’Accord de Libre-Échange nord-américain  ou ALENA, traité qui élimine les barrières douanières et facilite les échanges transfrontalières des biens et services entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, eentre en vigueur le 1er janvier 2004. Héritier de l’Accord de Libre-Échange qui ne concernait que le Canada et son voisin proche, l’ALENA représente une réponse au traité de Maastricht signé en 1992, traité qui a donné naissance à l’Union Européenne. Censé promouvoir les idéaux néolibéraux, l’ALENA se présente comme un projet ambitieux, tissant des liens concrets entre ces trois nations par la coopération et le libre-marché, tout en promouvant la croissance économique des États adhérents, envisageant même la création d’une monnaie unique. Projet ambitieux, certainement, mais loin des réalisations européennes. En effet, contrairement au cas du vieux continent, il est quasi-utopique d’imaginer l’établissement de politiques de libre circulation de  main d’œuvre en Amérique.

Cependant, malgré le rêve du président mexicain Carlos Salinas de voir sa nation parmi les pays développés à travers l’implantation d’un traité de libre-échange avec la première puissance économique1, politique et militaire, le bilan de l’ALENA au Mexique est très mitigé et chargé de contradictions au niveau social. En effet, dans notre analyse nous aborderons tout d’abord comment la mise en place de l’ALENA ne s’est pas traduite par une reconfiguration  des relations entre le pays latino-américain et les États-unis. Dans un deuxième temps, nous verrons comment le libre-échange augmente les inégalités au plan des revenus au sein de la société mexicaine pour finalement étudier brièvement le EZLN (Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional), groupe altermondialiste armé revendiquant les droits des populations indigènes de l’État de Chiapas, marginalisées par le traité.

L’établissement de l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain en 1994 ne vient qu’à réaffirmer les relations commerciales quasi-exclusives entre les Etats-Unis et ses voisins directs: en 2006, les exportations canadiennes aux Etats-Unis s’élevaient à 302 milliards de dollars américains, soit 75% de l’ensemble de ses exportations. Cette figure qui témoigne des relations économiques et commerciales étroites entre les deux nations, est proportionnellement  plus importante dans le cadre du commerce mexico-américain. En effet, avant l994 les exportations mexicaines vers les Etats-Unis représentaient déjà environ 67% de ses exportations, chiffre qui en 2006 était de l’ordre de 79% de l’ensemble de ses exportations, soit près de  198 milliards de dollars américains2. Cependant, ces taux spectaculaires qui à première vue pourraient se traduire en croissance économique, sont largement accompagnés par une expansion aussi importante des importations venant des Etats-Unis, qui au Mexique dépassent les exportations en terme absolu3.

C’est ainsi qu’on arrive au questionnement à propos des véritables fonctions et intérêts d’un tel accord : parle-t-on ici d’une véritable voie de développement pour le Mexique ou d’un renforcement de la dépendance du pays dirigé par Felipe Calderon vis-à-vis de son voisin anglophone, comme le dénonce le président du Venezuela Hugo Chavez et les théoriciens néomarxistes? En effet, le Mexique présente touts les symptômes d’un pays en dépendance, en fournissant aux pays du centre (ici les Etats-Unis et le Canada) une destination pour les technologies obsolètes, sans laquelle ils n’auraient pu atteindre leur niveau de vie actuel. On constate donc que la mise en place de l’ALENA a non seulement contribué à la croissance du commerce en Amérique du Nord, mais a aussi réaffirmé la puissance américaine dans la région.

De plus, d’après Gerardo Esquivel et Jose Antonio Rodriguez Lopez, l’ALENA est fortement responsable de l’accroissement des  disparités  salariales au Mexique entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés4. Leur étude, publiée en 2003, révèle que la différence salariale entre ces deux groupes a augmenté de plus de 27% entre 1988 et 2000, capturant l’effet du traité de libre-échange établit en 1994, ce dernier étant particulièrement néfaste pour les petits producteurs agricoles.  Le cas le plus saillant est celui des producteurs de maïs, qui devant les producteurs américains et leurs énormes subventions, ont de la difficulté à s’intégrer dans le marché . Ainsi, ces deux auteurs avancent l’idée que l’écart salarial est surtout lié à la technologie des pays, celui qui possède la meilleure technologie étant au sommet de la hiérarchie commerciale et tirant le plus de profits. Cependant, qu’arrive-t-il aux populations les plus marginalisées, oubliées ou délaissées par la mondialisation? Prenons l’exemple du Chiapas et l’armée zapatiste de libération nationale EZLN).

L’armée zapatiste est un mouvement altermondialiste non-violent  qui rejette le néolibéralisme, jugeant que ce dernier détruit l’économie locale des populations indigènes largement ignorées par le pouvoir central5. Il revendique principalement du travail, de la terre, du logement, le droit à l’alimentation, la santé, l’éducation, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix pour les populations indigènes, en offrant notamment des services de base auparavant inexistants. Peut-on donc parler d’une nouvelle forme de gouvernance locale et démocratique en mesure de répondre aux spécificités de la population et ses besoins? A quoi peuvent s’attendre les populations les plus marginalisées d’un traité purement économique et capitaliste tel que l’ALENA, ou la loi du plus fort est celle qui règne?

L’ALENA, tel qu’on l’a vu lors de notre analyse, est porteur de croissance économique, terme qui n’est pas toujours associé au développement et au bien-être général. En effet, il existe toujours de très grands écarts au plan des salaires au sein de la population mexicaine, écarts qui ne cessent de croître grâce à la mise en place d’un système libéral qui ne prend souvent pas en compte les populations les plus vulnérables. Le débat tourne maintenant autour de la voie à suivre pour assurer un développement durable et accessible pour tous.

Bibliographie

Esquivel, Gerardo et José Antonio Rodrigues-Lopez. 2003. Technology, trade, and wage inequality in Mexico before and after NAFTA. En ligne. http://www.colmex.mx/centros/cee/documentos/2003/DT%20VII-2003.pdf (page consultée le 2 février 2010).

Garber, Peter.. 1993. The Mexico-Us Free Trade Agreement. Hong Kong: Asco Trade Typesseting, Ltd..

French, Laurence et Magdaleno Manzanarez. 2004. NAFTA & neocolonialism: comparative criminal, human & social justice. Lanham: University Press of America.

Etats-Unis. Département d’État. 2008. Les Accords de libre-échange entre les Etats-Unis et divers pays du monde.  Etats-Unis: Département d’État.


1 Laurence French et Magdaleno Manzanarez, p. 6.

2 Voir Département d’Etat des Etats-Unis

3 Peter Garber

4 Gerardo Esquivel et Jose Antonio Rodriguez, p.  28.

5 Laurence French et Magdaleno Manzanarez, p. 8.

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03 2010

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