AU PAYS DES MILLES COLLINES ; RECONSTRUIRE APRÈS LE GÉNOCIDE

Par Laura Hébert

Kigali, avril 1994. L’avion transportant le Président Habyarimana et son confrère burundais est abattu par deux roquettes quelques minutes avant son atterrissage à l’aéroport de Kigali. C’est ce moment qui marque le début du génocide rwandais qui décimera près de 75 % de la population tutsie. À la fin des 100 jours que durera le massacre, on dénombrera entre 500 000 et un million de morts[i].

Plus de quinze ans après l’un des moments les plus sanglants du siècle, il nous semble pertinent de s’intéresser à la question de la remise sur pied d’un État dont les deux principaux groupes ethniques le composant en sont venus à devenir ennemis. Comment survivre à l’après-génocide ? Comment remettre sur rails un pays s’étant automutilé ? Dans ce billet, nous tenterons donc de voir comment la transition s’est effectuée et si le développement parvient à resoudre la communauté brisée.

Petit pays surpeuplé d’Afrique centrale, le Rwanda abrite une population d’environ 8 millions d’habitants[ii]. Deux groupes ethniques parlant une même langue se partagent le territoire depuis des siècles : les Hutus qui sont majoritaires (85 % de la population) et les Tutsis (14 % de la population).[iii] Le dossier spécial constitué par Radio-Canada dépeint la colonisation comme moment clé du début de la différenciation ethnique entre les deux groupes. Le fait que la minorité tutsie soit définie comme étant supérieure acerbe grandement les tensions raciales créant ainsi un climat explosif qui engendrera le génocide.

La communauté internationale demeure quasi muette devant le massacre, ne parvenant pas à l’empêcher ni même à le stopper. Il se termine enfin, en juillet 1994, lorsque Paul Kagamé, chef du Front Patriotique Rwandais, marchera sur Kigali, chassant ainsi le gouvernement génocidaire hutu du pouvoir.

Le bilan génocidaire sera très lourd : en plus des centaines de milliers de victimes, des millions de gens fuiront le pays[iv]. Les survivants, quant à eux, devront vivre avec des blessures qui ne cicatriseront sans doute jamais. De plus, les institutions politiques et socioéconomiques du pays sont démolies. Il faut rebâtir les infrastructures : banques, système de santé et d’éducation, etc. L’économie est également ravagée. Alors que dans les années 1980 le Rwanda avait le profil d’un élève modèle en termes de développement en parvenant à maintenir des taux de croissance concurrentiels[v], en 1994, le PIB s’écroule de 50% conduisant ainsi à la chute de la majorité des secteurs économiques du pays[vi].

Immédiatement après le conflit, l’aide humanitaire, supportée par de nombreuses ONGs,  est déployée afin de fournir des secours d’urgence aux victimes et de redonner un semblant d’ordre au pays dévasté. En outre, la communauté internationale sort de son laxisme et des dons substantiels arrivent en provenance tant de gouvernement que de donneurs privés (environ 1,4 milliard de dollars US)[vii].

La transition se fera graduellement. Le développement subséquent peut être observé sous deux angles distincts : le développement économique, soit la remise sur rails du pays à proprement parler et le développement, porteur de réconciliations, qui prend un visage plus humain.

Tout d’abord au niveau économique, il y a la nécessité de stabiliser l’économie du pays et de la remettre sur le chemin de la croissance. Des programmes de réformes économiques sont rapidement mis en place : privatisation, intensification du commerce, réforme de l’administration publique, développement du secteur public[viii]. Le Rwanda s’échine à se relever de ce que Rostow, en élaborant sa théorie de la modernisation, a qualifié d’imperfection ralentissant temporairement la croissance économique[ix].

Réduire la pauvreté[x] est un des objectifs primordiaux du développement post génocidaire. D’ailleurs, c’est dans cette mouvance que s’inscrit la mise sur pied du projet Vision 2020 par les autorités rwandaises, un plan d’action cadrant avec les Objectifs du Millénaire pour le développement. Selon The Rwanda Research Group, cela démontre la volonté de faire du Rwanda un pays à revenu moyen, moderne, fort, uni et exempt de discrimination entre les citoyens[xi]. Vision 2020 prône également la transition d’une économie basée sur l’agriculture à une économie du savoir afin de faire du pays un pôle d’excellence des technologies de l’information et des communications[xii].

Les résultats sont rapidement visibles sur papier, en effet le Rwanda performe  puisqu’entre 1995 et 2001, son PIB croit de 70%[xiii]. Cependant, selon les indicateurs d’UNICEF, 77 % de la population vit encore sous le seuil de la pauvreté (avec moins de 1,25 $ US par jour). En apparence, le pays semble toutefois s’être engagé sur la voie d’une croissance économique soutenue, alors qu’en réalité les richesses demeurent concentrées aux mains d’une minorité. Comme quoi le développement accentue parfois les inégalités, contribuant ainsi au développement du sous-développement.

Par ailleurs, les auteurs néo-marxistes nous le diront, développer ne signifie pas uniquement stimuler la croissance économique. Le visage humain du développement participatif est plus que nécessaire dans le contexte rwandais. La croissance du PIB ne conduit pas nécessairement à la réconciliation, voire au pardon. Le défi est d’autant plus grand vu le nombre de personnes ayant participé au massacre. Les gens doivent réapprendre à vivre côte à côte et oublier que leurs voisins ont autrefois pu être leurs ennemis. La justice et notamment la constitution du Tribunal pénal pour le Rwanda, en luttant contre l’impunité, contribue également développement du pays.

Enfin, même le soleil brille à nouveau sur le  » pays aux mille collines « , il faut se rappeler qu’il existe certaines blessures que même le développement ne parvient pas à guérir.

Bibliographie

Kimanuka, Oscar. 2008. Sub-Sahara Africa’s development challenges : a case study of post genocide Rwanda’s experience, 1994-2007.. New York: Palgrave MacMillan.

Radio-Canada. Rwanda, survivre à un génocide. En ligne. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Dossiers/rwanda/  (page consultée le 3 mars 2010).

Rostow, Walt W. 1975. Les étapes de la croissance économique. Paris : Seuil.

Seybolt, Taylor B. 2009. « Harmonizing the Humanitarian Aid Network: Adaptive Change in a Complex System ». International Studies Quarterly 53 :1027–1050.

The Rwanda Research Group. 2009. “ Peace-Building through Good Governance and Capable Statehood ”. Peace Review, 21: 3, 286 — 295 p. 288.

Zorbas, Eugenia. 2004. « Reconciliation in post-genocide Rwanda ». African Journal of Legal Studies 1 : 29-52.


[i] Radio-Canada, en ligne.

[ii] Radio-Canada, en ligne.

[iii] Radio-Canada, en ligne.

[iv] 4 millions, voir Radio-Canada, en ligne.

[v] Eugenia Zobras, p. 49.

[vi] Oscar Kimanuka,  p. 12.

[vii] Taylor B. Seybolt p. 1040.

[viii] Oscar Kimanuka,  p. 12-13.

[ix] Walt W. Rostow, p. 27.

[x] Eugenia Zobras, p. 9.

[xi] The Rwanda Research Group,  p. 288.

[xii] Oscar Kimanuka,  p. 40.

[xiii] Oscar Kimanuka,  p. 14.

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02

04 2010

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