LE RETOUR DE L’ÉTAT AU VÉNÉZUELA ET EN BOLIVIE

Par Dominic Garant

Après la fin de la guerre froide, l’État semblait voué à garder une place restreinte dans la société et dans l’économie. Cependant, au 21ième siècle, il est possible de constater un retour de l’État dans le développement de l’Amérique latine. En effet, cet article montrera comment dans les pays les plus radicaux, c’est-à-dire la Bolivie et le Vénézuela, il joue un rôle grandissant tant dans le développement de la gouvernance démocratique que dans l’économie et dans la société.

La démocratie fut profondément affectée par les réformes néolibérales promues par les centres qui, ironiquement, prétendaient vouloir la répandre. En effet, les politiques de réformes furent souvent imposées de façon autoritaire sans grande considération pour les besoins des gens.[1] Ce qui eut comme conséquence un déclin marqué de la qualité de vie des citoyens.[2]

L’un des premiers symboles de changement fut l’entrée en fonction du président vénézuélien Hugo Chavez en 1999. Dès le mois de janvier, il organisa une vaste consultation populaire portant sur la tenue d’une assemblée constituante. Même si la participation populaire ne fut pas aussi profonde et vaste qu’escomptée par plusieurs, la nouvelle constitution a beaucoup élargi la définition réductionniste de la démocratie libérale.[3] Effectivement, le texte parle plutôt de démocratie participative et protagoniste qui inclut, entre autres, les “assemblée(s) de citoyens et de citoyennes dont les décisions seront d’un caractère inaliénable, entre autres; en matière sociale et économique, les instances de contrôle citoyen, l’autogestion, la cogestion (…)”.[4] Cette constitution peut donc être perçue comme un processus de démocratisation à partir du haut (un type de top-down democratization) qui, du moins d’un point de vue normatif, chercha à approfondir la structure démocratique du pays.

Sur le plan économique, l’une des caractéristiques les plus critiquées des politiques néolibérales est la privatisation à tout prix. Les fonctions productives et «re-distributives» de l’État furent tout particulièrement affectées.[5] C’est donc dans ce contexte de réappropriation de ses fonctions que l’État latino reprend une part du contrôle de l’économie. Il le fait entre autres par la nationalisation d’entreprises considérées comme stratégiques. C’est ainsi qu’au Vénézuela et en Bolivie, le secteur énergétique fut nationalisé ainsi que les télécommunications. Les banques aussi étaient considérées comme de potentielles cibles.[6] Avant l’arrivée au pouvoir en Bolivie de Evo Morales, l’État bolivien contrôlait environ 8% de l’économie alors que ce taux est maintenant à 28%. Le président espère atteindre bientôt 40%, principalement en lançant des entreprises d’État, entre autres, dans le domaine du lithium.[7]

D’un point de vue social, il a déjà été mentionné quel fut l’impact du retrait de l’État sur la qualité de vie des latinos. Cependant, dans le cas des autochtones d’Amérique du Sud, il serait plus convenable de dire que leurs standards de qualité de vie n’ont jamais été très élevés. En effet, les boliviens autochtones ont toujours été marginalisés et aliénés de la société et de la vie politique par les différentes élites qui créaient des relations de clientélisme sans leur accorder un quelconque pouvoir.[8] Cependant, Morales a lui-même été un leader syndical pour cinq cocaleras (associations de producteurs de coca) de Cochabamba, après avoir travaillé longtemps dans des conditions de vie médiocres en tant que mineur.[9] Le Mouvement vers le socialisme (MAS) est donc directement issu des groupes sociaux les plus marginalisés. Une mesure qui fut particulièrement emblématique de la tentative d’intégration par l’État est l’enseignement obligatoire dans les écoles publiques d’une langue parlée par les groupes autochtones locaux, entre autres le quechua, le guarani et l’aymara. Aussi, les cours de christianisme seraient remplacés par des cours d’histoire des religions, qui consacreraient une partie importante aux croyances traditionnels.[10] Il est possible d’imaginer les critiques qui parleront d’un manque de réalisme, voire de «folklorisation». Cependant, il faut garder en tête qu’environ les deux tiers de la population bolivienne s’identifient comme étant d’origine autochtone et que nombre d’entre eux parlent encore une de ces langues. Finalement, il semblerait que le caractère obligatoire de ces cours ait été révisé. Mais cela démontre la volonté de l’État d’intégrer les secteurs les plus marginalisés dans la société.

L’État a donc étendu son champ d’activité, qui avait été grandement réduit au cours de l’ère néolibérale. Sur le plan démocratique, il développa des mécanismes légaux approfondis pour promouvoir un autre type de démocratie. Il élargit son rôle dans l’économie. Il prit un rôle actif dans le développement social afin d’intégrer des groupes longtemps marginalisés. Les deux pays étudiés ici, soit le Vénézuela et la Bolivie, ont cependant été plus radicaux que d’autres pays comme le Brésil ou le Pérou. Il serait alors intéressant de regarder quelles furent les réactions au néolibéralisme dans le reste de l’Amérique latine.

Bibliographie

Blanco, Carlos. 2006. “Reform of the State: An Alternative for Change in Latin America”, Annals of American Academy of Political and Social Science vol. 606 , 231-243.

Garcia, Eduardo. 2010. “Morales to Firm State Grip, Exploit Bolivia Lithium” Reuters, En Ligne, http://www.reuters.com/article/idUSN2219538520100122 (consultée le 22 Mars 2010).

Ingham, James. 2007. “Nationalisation sweeps Venezuela” BBC News, En ligne, http://news.bbc.co.uk/2/hi/business/6646335.stm (dernière consultation datant du 22 Mars 2010).

Lander, Edgardo. 2005. “Le Vénézuela à la Recherche d’un Projet-Contre Hégémonique”, dans Mouvements et Pouvoirs de Gauche: Points de Vue latino-américains. Paris: Éditions Syllepse: 169-190.

Reel, Monte. 2007. “In Bolivia, Speak up for Native Languages”, Washington Post, En ligne, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/01/29/AR2007012901665.html (consultation le 22 mars 2010)

Suarez, Hugo José. 2005. “Bolivie: les Antécédents et les Défis de la Nouvelle Gauche” dans Mouvements et Pouvoirs de Gauche en Amérique Latine: Points de Vue Latino-Américains.  Paris: Éditions Syllepse: 141-154.

Van Cott, Donna Lee. 2000. “Party System Development and Indigenous Populations in Latin America”. Party Politics. Vol. 6: 155-174.


[1] Carlos Blanco, “Reform of the State: An Alternative for Change in Latin America”, Annals of American Academy of Political and Social Science  606 (2006), 231-243.

[2] Ibid., 236.

[3] Edgardo Lander. “Le Vénézuela à la Recherche d’un Projet-Contre Hégémonique”, dans Mouvements et Pouvoirs de Gauche: Points de Vue latino-américains (Paris: Éditions Syllepse, 2005), 169-190.

[4] Extrait de l’Article 70 de la nouvelle constitution, citée dans le texte de Lander, ibid., 174.

[5] Voir Carlos Blanco. Ibid., 236.

[6] James Ingham, “Nationalisation sweeps Venezuela”, (2007) BBC News, En ligne, http://news.bbc.co.uk/2/hi/business/6646335.stm (dernière consultation datant du 22 Mars 2010).

[7] Eduardo Garcia, “Morales to Firm State Grip, Exploit Bolivia Lithium”, (2010) Reuters, En Ligne, http://www.reuters.com/article/idUSN2219538520100122 (consultée le 22 Mars 2010).

[8] Donna Lee Van Cott, “Party System Development and Indigenous Populations in Latin America”, Party Politics, 6 (2000), 155-174.

[9] Hugo José Suarez, “Bolivie: les Antécédents et les Défis de la Novelle Gauche” dans Mouvements et Pouvoirs de Gauche en Amérique Latine: Points de Vue Latino-Américains  (Paris: Éditions Syllepse, 2005), 141-154.

[10] Monte Reel, “In Bolivia, Speak up for Native Languages”, (2007) Washington Post, En ligne, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/01/29/AR2007012901665.html

(consultation le 22 mars 2010)

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