LES INÉGALITÉS RÉGIONALES AU BRÉSIL

Par Jean-Baptiste Cubilier

Le Brésil connaît des disparités régionales des plus importantes qui nécessitent que l’on s’attarde dessus. La pierre angulaire que nous allons nous utiliser pour traiter cette question est celle de l’opposition régionale entre le Nordeste et le Sudeste.  Dans un premier temps nous observerons l’opposition dichotomique des ces deux régions comme ligne directive afin de mettre en avant le atypique que connaît le Sudeste, et ce pour ensuite proposer une alternative de développement à partir de la théorie constructiviste en nous basant sur la singularité de chaque région.

Le Sudeste : hégémon économique

Pour comprendre cet écart entre le Sudeste et le Nordeste, nous devons nous servir de l’histoire comme prisme pour notre analyse comme nous l’avons fait dans le billet précédent sur les inégalités économiques et sociales. En effet, l’histoire économique du Nordeste est beaucoup moins prestigieuse avec une incapacité à se reconvertir dans un autre secteur de production suite à la disparition de son activité de production et d’exportation principale : la canne à sucre. Le Sudeste quant à lui a su, après l’exportation du café, concentrer la grande majorité de la production industrielle du pays. Chaque région avait à la base une identité économique précise qui la distinguait des autres. Le manque de flexibilité du Nordeste ne lui a apporté qu’un ralentissement dans son objectif de développement qui, au fur et à mesure, a conduit à un écart de plus en plus important avec le Sudeste. La situation est telle aujourd’hui que la montée économique de villes comme Sao Paulo et Rio De Janeiro marque le rythme de développement du pays entier. [1] Des informations complémentaires sur les caractéristiques de ces deux régions sont disponibles à travers l’étude de Martine Droulers, chercheuse au Centre National de Recherche Scientifique.

Ainsi le Nordeste se retrouve dans un environnement extrêmement désavantageux pour son avenir, cela étant du au fossé qui continue de se creuser avec le Sudeste sur le plan économique comme nous venons de le voir, mais aussi par rapport au fait que cette région est perçue par les Brésiliens et surtout par le reste de la communauté internationale comme une région depuis toujours « en retard ». Selon Fleury et Théry, cette partie du pays « reste dans l’esprit des Brésiliens, une région déprimée, profondément en retard, embourbée dans son passé sucrier et ses problèmes fonciers explosifs. Le Nordeste n’inspire pas confiance aux investisseurs et surtout se trouve loin du centre dynamique du pays, et apparaît presque en marge du développement. Il est loin d’être attractif pour des populations du Sud et Sudeste, habituées à la qualité de vie offerte par les régions les plus riches du Brésil. » [2] L’image économique du Nordeste est une plaie qui continue de s’infecter, l’isolant un peu  plus chaque jour d’une perspective où il pourrait remonter la pente.

Pourquoi un écart aussi important?

Incapable de se reconvertir et souffrant d’une mauvaise réputation, il est clair que l’objectif du Nordeste est de changer son image négative, celle-ci incarnant la pauvreté. Pour cela, au lieu de porter notre attention sur une théorie moderniste ou structuraliste qui se contenterait de relancer la dynamique de production, nous allons nous intéresser à la théorie constructiviste pour expliquer ce qui devrait être fait. Nous pouvons commencer par rappeler la logique avancée par l’un de ses théoriciens Arturo Escobar [3]. Cet auteur insiste tout d’abord sur le fait que c’est cette notion de pauvreté (notion définissant l’ensemble du Brésil à la base), va servir de référence aux experts du développement pour présenter le défi de ce pays comme « un problème technique ». C’est à travers la réponse unique de la technologie que les sociétés occidentales vont espérer apporter le développement à ceux qui en ont besoin. C’est ce que Rostow a fait en proposant une modernisation de n’importe quelle société en cinq étapes grâce au progrès technologique.

La réponse que l’on a accordée au Brésil pour son développement est purement « technique ». La région du Sudeste s’en sort, mais le Nordeste ne correspond pas quant à lui à ce discours moderniste. C’est ce que Brian Murphy dénonce en présentant cette solution comme extrêmement linéaire et réductionniste. Selon lui : « il existe plus de différences que de similitudes […] Et c’est dans ces différences que réside le ferment de la santé, de la croissance, de la citoyenneté et du développement social. L’actualisation de ces qualités et de ce potentiel est la raison d’être du développement, en même temps que sa matière première » [4]. Nous devons davantage apprendre de la singularité de cette région. Sans quoi le Nordeste sera contraint de prolonger son retard avec pour seuls outils économiques ceux d’un système de marché libéral coordonnant l’intervention des investisseurs étrangers afin d’établir un rapport de domination, synonyme pour le pays en développement de s’adapter aux exigences des donateurs comme le précise Murphy, et non d’harmonisation ou de coopération. Il faut absolument revoir la vision que se sont fait les Brésiliens et les investisseurs internationaux du Nordeste si nous voulons lui laisser une chance de se développer en fonction de ce qu’il est et pas en fonction de ce qu’il doit être.

En conclusion, nous pouvons dire que le Nordeste se retrouve dans une situation qui le désavantage vis-à-vis du Sudeste puisqu’en plus d’un écart économique qui est tout sauf à son avantage, l’image que la population locale et les investisseurs internationaux se font de cette région conduit à une prolongation de son isolement. Cette dichotomie ne fait que refléter le défi auquel se livre chacune des régions du Brésil : celui de s’adapter à l’unique forme de développement possible et dont l’exemple de réussite est le Sudeste qui lui a réussi avec succès son adaptation. Il faut tout d’abord se rendre compte de la singularité de chacune des régions du Brésil afin de réduire les inégalités entre celles-ci.

Références

[1] Droulers, Martine. 2005. « Cône Sud in Les Amériques Latines, unité et diversité des territoires ». CNRS-IHEAL.

[2] Fleury, Marc-Françoise et Hervé Théry. 2007. « Les Contrastes du Développement au Brésil ». Collège Marc Chagall. Groupe de recherche au CNRS

[3] Escobar, Arturo, « The Problematization of Poverty : The Tale of Three Worlds and Development », Encountering Development: The Making and Unmaking of the Third World, Princeton: Princeton University Press, 1995: pp.21-54.

[4] Inter Pares, Repenser le développement : promouvoir la justice sociale au 21e siècle Publications occasionnelles d’Inter Pares, numéro 7, juin 2006.

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04 2010

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