QUEL FUTUR POUR LE MERCOSUR?

Par Mijail Raigorodsky

Qu’est-ce que l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela, cinq nations sud-américaines, ont en commun? Tout d’abord leur histoire, liée à la période coloniale et les influences ibériques, ainsi que des similitudes politiques avec l’instauration de régimes dictatoriaux au cours du XXième siècle. On peut ensuite mettre en avant des ressemblances culturelles, notamment au niveau de la langue. Mais surtout, ces pays se rassemblent autour d’un marché économique commun, le Mercosur.

Depuis sa création le 26 mars 1991 par le traité d’Asunción, le Mercosur, qui regroupait à l’origine le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine et le Paraguay avant d’intégrer le Venezuela en 2006, est aujourd’hui un des principaux blocs de commerce au monde avec l’Union Européenne (UE) et l’ALENA, ainsi que le 2e plus grand marché commun, derrière l’UE. En effet, tel son homologue européen, le Mercosur vise à établir un espace où les biens, services, capitaux et main-d’œuvre puissent circuler libres de toute barrière douanière (Duina 2006, 20). Cependant, cet ambitieux projet n’est pas récent, étant le résultat de plusieurs échecs dans le domaine de la coopération dans cette région. C’est pourquoi dans cette étude nous analyserons dans un premier temps l’efficacité du Mercosur dans le cadre du commerce régional ,  pour ensuite étudier les limites et les défis  de cette entente.

Sur le plan commercial, le Mercosur peut facilement être considéré comme une réussite pour ses pays membres, en doublant les exportations à l’intérieur de ses frontières. En effet, on observe qu’entre 1991 (date de la création du bloc régional) et 1995, les exportations intra-Mercosur sont passées de 11,1% à 20,5% de ses exportations totales (Laird 1998, 3). On remarque que l’ouverture des frontières douanières s’est traduite par une dynamisation de ces économies sud-américaines, rapprochant des pays qui autrefois ne s’entendaient guère, dont notamment l’Argentine et le Brésil, suivant l’exemple européen en matière de coopération.

Mais l’importance de ce traité va bien au-delà des simples bénéfices économiques mutuels. Le Mercosur prône, entre autres, non seulement la libéralisation des échanges mais aussi une intégration politique visant à régler les différends de l’ensemble des pays membres. Dans ce sens, celui-ci va plus loin que la stratégie américaine auprès du Canada et le Mexique dans le cadre de l’ALENA, et encore plus que la Zone de Libre Échange en Amérique (ZLEA) offerte par ces mêmes pays. Le Mercosur se veut comme une alternative aux pays de la région contre l’influence historique, toujours omniprésente, de l’économie américaine et une réponse à l’émergence de nouveaux blocs régionaux partout dans le monde.

De plus, une des principales réussites du Mercosur est sans doute la prévention de coup d’État militaire alimentés par le nationalisme. Dans ce but, les conventions d’intégration  visèrent à éliminer les noyaux de conflits régionaux (notamment à travers une coopération nucléaire entre l’Argentine et le Brésil) qui avaient nourri par le passé une course aux armements et le repli sur soi (Gastambide 2001, 238). La démocratie étant une condition nécessaire pour appartenir au bloc, l’ensemble de ses membres est censé la promouvoir et la défendre. Ainsi, deux coups d’État au Paraguay(en 1998 et en 2000) ont pu être évités grâce au refus catégorique de l’Argentine et du Brésil d’accepter un régime dictatorial au sein de la communauté (Duina 2006, 32).

Par ailleurs, des progrès ont été fait au niveau coopératif en dépassant notamment une centralisation importante, ce qui a permis aux responsables provinciaux et parfois locaux de ces pays de conclure certains accords économiques, mais surtout des avancées importantes dans le cadre de la coopération judiciaire (Seitenfus, 108).

D’autre part, suivant la logique de la théorie de la modernisation de Rostow, en favorisant le commerce à l’intérieur du bloc régional, les pays membres du Mercosur ne vont pas être capables de développer leur économie au même rythme que celles des grandes puissances mondiales. En effet, en ne réunissant que des pays en voie de développement, cette entente ne permet pas d’intégrer les transferts technologiques qu’on retrouverait dans les importations venants de pays développés, fruit de l’isolement de cette association par rapport au reste du monde à travers des tarifs douaniers élevés (Connolly and Gunther 1999, 5). Le Mercosur, plutôt que de favoriser les conditions pour un développement équitable, réaffirme l’appartenance de l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela à la périphérie, limitant toute tentative de déplacement vers le centre.

Cependant, le Mercosur n’a souvent qu’une existence  dans les discours politiques. En effet, les États continuent à protéger leur marché tout en cherchant à bénéficier de ceux des voisins (Leloup and Stoffel 2001, 79). À cet égard, cette organisation n’arrive pas à approfondir les relations multilatérales des nations incorporées, et, malgré les énormes progrès réalisés depuis sa création en 1991, elle ne réussit toujours pas à intégrer pleinement le Brésil, véritable puissance régionale, dont les échanges intra-Mercosur ne représentent que 15% de l’ensemble de ses échanges.

Quel sera donc le futur de cette organisation, menacée par l’ambition américaine d’introduire la ZLEA ? Cette dernière est vivement critiquée et rejetée par l’ensemble des pays du bloc sud-américain, dénonçant le fait que, d’après le forum parlementaire du Sommet des Peuples Américains, « plus de 60 % de la population de l’Amérique latine est soumise à une détérioration constante de son niveau de vie en raison des pratiques néolibérales et de l’intégration affairiste prévue par le ZLEA. D’autant que le processus de sa négociation est illégitime puisqu’il compromet l’autonomie et la souveraineté des États. Il se fait sans consulter les parlements, la société civile, les syndicats de travailleurs et accueille uniquement les propositions des élites du pouvoir politique et économique » (Seitenfus, 110).

Cependant, une association de libre-échange entre le Mercosur et la Communauté Andine (communauté économique regroupant la Bolivie, la Colombie, le Pérou et l’Équateur), chaque région disposant d’un avantage comparatif clair, compenserait les effets de détournement de commerce. En effet, la CA possède un avantage comparatif clair dans la filière énergie alors que le Mercosur en possède dans la filière mécanique électrique (Gastambide 2001, 247).

Somme toute, malgré son succès, le Mercosur est toujours en construction et doit chercher à intégrer ses États membres dans un plan politique afin de faire contrepartie aux autres grands blocs régionaux.

Bibliographie

Connolly, M. P, and J. Gunther. 1999. “MERCOSUR: implications for growth in member countries.” Current Issues in Economics and Finance 5(7).

Duina, F. G. 2006. The social construction of free trade: The European Union, NAFTA, and Mercosur. Princeton Univ Press.

Gastambide, A. 2001. “LA CAN ET LE MERCOSUR: BILAN ET PERSPECTIVES.” Bull. Inst. fr. études andines 30(2): 233–263.

Laird, S. 1998. “Mercosur: objectives and achievements.” Economic Notes. Country Department 1.

Leloup, F., and S. Stoffel. 2001. “Intégration régionale et frontière dans le Mercosur: entre théorie, principes et réalités.” Mondes en développement (2001/3): 73–80.

Seitenfus, C. R. “Acquis et dilemmes du Mercosur.” Cahiers des Amériques Latines: 101–113.

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04 2010

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