LE DEVELOPPEMENT SUR TRAME DE CRISE HUMANITAIRE : LE CAS DU DARFOUR

Par Laura Hébert

Le Darfour, région abritant environ 23 % de la population soudanaise[i], est, depuis 2003, le théâtre d’une guerre civile des plus meurtrières dont résulte une grave crise humanitaire. Les origines du conflit ne sont pas récentes et les causes sont nombreuses : climatique, démographique, propriété des terres et anciens conflits non résolus complètement. Les affrontements se déroulent entre une milice de rebelles et l’armée gouvernementale. L’ONU estime que depuis février 2003, plus de 300 000 personnes ont perdu la vie, à cause du conflit que certains qualifieront de génocide. En outre, plus de 2 millions de personnes ont été forcées de quitter leur foyer[ii].

La réponse à la crise est assez lente à venir, il semble que la communauté internationale n’a pas retenu les leçons à tirer du génocide rwandais, soit de ne pas attendre que la situation soit à son paroxysme avant d’intervenir. C’est notamment la pression causée par la publication d’images-chocs du conflit qui poussera la communauté internationale à réagir. Cependant, le fait que l’État soit directement impliqué dans le conflit et que de graves violations des droits de l’homme ainsi que des actes criminels soient commis avec sa complicité et souvent sous son contrôle rend le règlement de la crise, l’aide humanitaire et le développement subséquent très ambigus. Dans ce billet, nous tenterons donc de voir, comment le développement peut s’orchestrer avec trame de fond la crise du Darfour. Peut-il réellement jouer un rôle reconstructeur tant que les armes tirent toujours ? Que faut-il transformer pour améliorer le sort de la population darfourienne ? Voilà les questions auxquelles ce billet tentera d’adresser une réponse.

Tout d’abord, il est évident que le développement peine à trouver sa place en sol darfourien. Est-ce que mettre fin à la souffrance du peuple  doit avoir préséance sur la résolution des causes profondes du conflit ? Les deux options sont interdépendantes ; si on priorise l’aide humanitaire, le conflit demeurera récurrent, alors que si on règle les causes primaires de la crise, les gens continueront d’avoir faim et de vivre dans la misère. Le développement du Darfour représente une clé pour la paix de la région, alors que la paix facilitera grandement le développement. Il est donc ardu dans ce cas de faire la part des choses. Surmonter la crise doit donc se faire sur deux avenues différentes, soit le retour à une paix durable et la reconstruction de la région qui passera par son développement.

Bien qu’une force militaire conjointe des Nations Unies et de l’Union Africaine, l’UNAMID, soit sur place depuis la résolution 1769 du Conseil de Sécurité, en juillet 2007, « dont l’efficacité a plusieurs fois été mise en doute[iii] » nous nous attarderons plutôt aux aspects économiques et politiques de la reconstruction de la région.

L’auteur Al-Tayib Zain Al-Abdin établit, dans un chapitre d’ouvrage collectif une série de recommandations pertinentes pour le développement darfourien. Il insiste sur le fait que le rétablissement de l’économie est primordial pour la résolution du conflit. Il suggère entre autres que l’agriculture soit modernisée et qu’une commission se penche sur le droit de propriété de la terre. Les recommandations d’Al-Abdin suivent les propositions émanant de la théorie de la modernisation de Rostow[iv], puisqu’en résumé ce qu’il propose c’est de moderniser la société archaïque qu’est le Darfour en développant son économie. La diversification des ressources, des moyens de subsistance et des investissements sont également des mesures devant être prises, afin de rendre le territoire attractif à l’introduction de nouvelles entreprises. Il propose également l’électrification des zones rurales. L’aspect humanitaire ne doit pas être laissé en suspens, il faut sécuriser les populations, réinstaller les réfugiés et mettre en place des programmes de soins physiques et psychologiques ainsi que d’éducation. Au niveau social, il est important de miser sur l’identité commune darfourienne pour tenter d’unifier le peuple. [v]

Toutefois, un des obstacles les plus importants à toutes ces belles propositions d’initiative de développement réside dans l’ineffectivité du gouvernement soudanais. Il est difficile de tenter de reconstruire le pays quand le gouvernement prend part aux hostilités. La pratique montre que pour être efficace le développement doit avoir un visage humain, c’est-à-dire que les gouvernements locaux doivent être impliqués dans les processus de reconstruction, ce qui est loin d’être le cas au Darfour. Le gouvernement soudanais doit être assez fort pour stabiliser la région, pour y assurer la sécurité des civils et pour stopper la désintégration sociale, ce à quoi il ne parvient malheureusement pas. Le gouvernement soudanais présente donc une embûche au développement du Darfour.

Par ailleurs, l’expulsion de dizaines d’ONGs qui a suivi l’émission d’un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale contre Omar Al-Bashir, le Président soudanais, démontre également que la justice internationale n’est pas toujours compatible avec le développement. La population du Darfour étant grandement dépendante de l’aide humanitaire, une crise humanitaire encore plus grande aurait pu naître[vi].

Enfin, la crise du Darfour mène la vie dure au développement. Développer dans un contexte d’instabilité et de crise, sans gouvernement détenant l’autorité centrale, est chose pratiquement impossible. La situation reste trouble, la paix demeure incertaine, le temps fait son œuvre et le développement attend son tour, mais, au Darfour, des millions de gens continuent de souffrir en silence…

Bibliographie

Al-Abdin, Al-Tayib Zain. 2009. «A civil society approach to the Darfur crisis». Dans Hassan., Salah M. et Carina E. Say, dir. 2009. Darfur and the crisis of governance in Sudan : a

critical reader. Netherland: Cornell University Press et Prince Claus Fund Library.

Berthemet Tanguy. 2009. « Darfour : Béchir joue l’opposition Nord-Sud » Le Figaro (Paris) 6 mars. En ligne. http://www.lefigaro.fr/international/2009/03/07/01003- 20090307ARTFIG00227-darfour-       bechir-joue-l-opposition-nord-sud-.php (page consultée le 27 mars 2010)

Lévesque, Claude. 2010. « Espoir de paix au Darfour : Khartoum et les rebelles du JEM signent une trève ». Le Devoir (Montréal), 24 février. En ligne.

http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/283768/espoir-de-paix-au-darfour  (page consultée le 27 mars 2010)

Rostow, Walt W. 1975. Les étapes de la croissance économique. Paris : Seuil.

Slim, Hugo. 2004. «Dithering over Darfur? A Preliminary Review of the International Response». International Affairs (Royal Institute of International Affairs 1944-) 80: 811-828.


[i] Al-Tayib Zain Al Abdin, p. 339.

[ii] Claude Lévesque, en ligne.

[iii] Claude Lévesque, en ligne.

[iv] Rostow, 1975.

[v] Al-Tayib Zain Al Abdin, p. 341-43.

[vi] Tanguy Berthemet, en ligne.

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04 2010

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