SIMPLICITÉ VOLONTAIRE ET OBJECTEURS DE CROISSANCE : FAIRE MIEUX AVEC MOINS

Par Benjamin Peyre

En 1986, en Italie, est né le mouvement du « Slow Food ». En réaction à l’émergence du mode de consommation de type restauration rapide, le « Slow Food » a pour but de préserver la cuisine «écorégionale» et les techniques agricoles qui lui sont associées. Ce mouvement qui s’inscrit dans une mise en pratique des critiques du développement soutenues par les altermondialistes va également permettre l’émergence d’une multitude de pratiques offrant une alternative au  mode de vie proposé par les pays du Nord. Parmi ces pratiques, se trouve le groupe de « simplicité volontaire » dont  les principes pourraient se résumer au slogan suivant : « Moins de biens, plus de liens ». Souvent confondus avec le groupe des objecteurs de croissance, le concept de simplicité volontaire s’en détache par le fait qu’il s’agit plus d’une philosophie régissant la vie de ceux qui y souscrivent plutôt que d’une volonté politique dont la portée serait plus globale. Afin de mieux comprendre la distinction entre ces deux mouvances, voyons dans un premier temps ce que couvre la philosophie de la simplicité volontaire puis, dans un second temps montrons en quoi la décroissance se veut politique au point que celle-ci se réclame de l’après-développement.

La belle verte, un film français réalisé par Coline Serreau, met en scène les habitants d’une planète fictive où ceux-ci ont atteint un stade de développement dans lequel ils n’utilisent ni monnaie, ni voitures, ni ordinateur, ni téléphones ou autres  technologies qui régissent notre quotidien. Bien au contraire, ceux-ci vivent une vie d’une grande simplicité, ce qui leur aurait permis de développer des capacités cérébrales bien au-delà des nôtres. Ce peuple pourrait bien illustrer l’une des nombreuses possibilités que constitue le choix de simplicité volontaire. En effet, la philosophie de cette mouvance pourrait être synthétisée de la façon suivante : il s’agit d’une façon de vivre qui cherche à être moins dépendante de l’argent et de la vitesse, et moins gourmande des ressources de la planète, c’est la découverte que l’on peut vivre mieux avec moins[i]. C’est privilégier un recours plus grand à des moyens collectifs et communautaires pour répondre à ses besoins et donc un effort pour le développement d’une plus grande solidarité. C’est également privilégier l’être sur l’avoir,  les relations humaines sur les biens matériels, le temps libéré sur le compte en banque, le partage sur l’accaparement, la communauté sur l’individualisme, la participation citoyenne active sur la consommation marchande passive[ii]. Enfin, c’est aussi la volonté d’une plus grande équité entre les individus et les peuples dans le respect de la nature et de ses capacités pour les générations à venir. Bien entendu, en tant que philosophie, l’objectif sera de rester fidèle à ces principes, en aucun cas elle entend dicter au gens ce qu’ils doivent faire. L’éventail de possibilités demeure à l’initiative des individus.

De son côté, le mouvement de la décroissance est un projet plus vaste, d’ordre politique. Si les principes sont du même ordre : l’équité, tous les humains doivent avoir accès au minimum de ressources leur permettant de répondre à leurs besoins fondamentaux; le relationnel, c’est par la densification des relations humaines (l’entraide, la solidarité, la vraie démocratie, les activités culturelles…) que l’humanité peut se développer; le niveau local, il faut développer la production et la consommation locale, pour ainsi diminuer l’impact environnemental majeur des transports, tout en renforçant les économies locales; la conservation, nous ne pouvons nous permettre de continuer à gaspiller des ressources qui, nous le découvrons aujourd’hui, sont souvent limitées ou dont l’utilisation a toujours des effets sur l’environnement[iii].

Il n’en reste pas moins que les implications de tels principes divergent. À défaut de se limiter à quelques initiatives individuelles, les objecteurs de croissance portent leurs revendications, leurs idées, leurs principes sur la scène politique. Ainsi, dans l’un de ses livres[iv], Serge Mongeau s’attache à montrer que décroissance et  actions politiques ne sont pas incompatibles. Pour se faire, celui-ci propose une série de mesures qui ne pourraient être le fruit du choix de quelques individus. Ainsi, des mesures comme l’instauration d’un revenu de citoyenneté suffisant pour permettre à chacun de répondre à ses besoins de base, la création partout sur le territoire de Maisons de la santé, avec jardin communautaire, cours, conférences, centre de documentation et autres mesures permettant à la population de prendre en charge sa santé, la transition de l’agriculture industrielle à l’agriculture bio, la construction sur tout le territoire de centres communautaires et autres équipements pour sports collectifs, la décentralisation des écoles, la mise en place d’un écart salarial maximal de 1 à 10 (le salaire le plus élevé ne peut pas excéder dix fois les salaire le plus faible) etc., sont tout autant de mesures éminemment politiques impliquant tout autant les citoyens que les États.

En outre, afin de gagner en crédibilité sur la scène politique, il a plusieurs fois été question d’employer la notion d’après-développement pour désigner les partisans de la décroissance. En effet, il va sans dire que le terme de décroissance suscite pas mal de réticences et de questionnements.[v].

En guise de conclusion, nous pourrions affirmer que si la simplicité volontaire n’a aucune prétention politique (quoique certaines de leurs actions puissent avoir un impact sur celle-ci), la décroissance quant à elle entend « penser global et agir local »[vi]. Afin de mieux prendre connaissance du lien qui unit simplicité volontaire et décroissance, nous vous invitons à visionner le film du même nom que vous pourrez trouver ici.


[i] Boisvert, Dominique, 2005,  L’abc de la simplicité volontaire, Montréal, Écosociété.

[ii] Burch, Mark A, 2003, La voie de la simplicité, Montréal, Éditions Écosociété, p.237

[iii] Harribey, Jean-Marie, 2005, Croissance? Décroissance? Durable? Solidaire? Le développement en débat! Paris,  Éditions Syllepse et Espace Marx.

[iv] Mongeau, Serge, 2007, Objecteurs de croissance. Pour sortir de l’impasse : la décroissance, Montréal, Éditions Écosociété.

[v] « Les dossiers de décroissance.info »,  n’1 octobre 2006 (consultation en ligne)

[vi] Porque, Jean-Luc, 2003,  Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu, Paris, Édition Le Cherche Midi.

Bibliographie

Boisvert, Dominique. 2005. L’abc de la simplicité volontaire. Montréal : Écosociété.

Burch, Mark A. 2003. La voie de la simplicité. Montréal : Écosociété.

Harribey, Jean-Marie. 2005. Croissance? Décroissance? Durable? Solidaire? Le développement en débat! Paris :  Éditions Syllepse et Espace Marx.

Mongeau, Serge. 2007. Objecteurs de croissance. Pour sortir de l’impasse : la décroissance. Montréal : Écosociété.

Porque, Jean-Luc. 2003. Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu. Paris : Le Cherche Midi.

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04 2010

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