AFGHANISTAN, 2001-2010 : LA RECONSTRUCTION ENVISAGÉE

Par Delphine Meunier

Après la fin de la Guerre froide, l’Afghanistan présentait un intérêt réduit pour le monde. Le 11 septembre 2001 change la donne : l’Afghanistan devient un acteur clé. Les Taliban qui dirigeaient le pays sont défaits fin 2001. Il faut alors instaurer un gouvernement légitime, reconstruire le pays et le développer. Dans un premier temps, nous évoquerons les principaux accords mis en place pour rebâtir l’Afghanistan. Ensuite, nous analyserons les défis économiques, sociaux et politiques que l’aide internationale doit relever. Finalement, nous verrons en quoi la situation afghane remet en question le principe même d’aide internationale.

Plus une démocratie est imposée rapidement après la chute d’un régime autoritaire, plus elle a de chance de réussir. Plus une démocratie est imposée tôt, plus elle a de chance de réussir[1]. C’est pourquoi la communauté internationale s’empresse de créer un gouvernement démocratique en Afghanistan. Dès 2001[2], l’accord de Bonn planifie la création d’une démocratie libérale, d’un gouvernement représentatif et d’un pays égalitaire. Deux Chambres (loya jirga) sont créées : une pour assurer la transition politique après la chute des Taliban, une pour établir une Constitution[3].

L’accord de Bonn est toutefois imparfait : il veut instaurer une démocratie, mais, lors des discussions, le parti majeur du conflit, les Taliban, ne sont pas représentés. Ce ne fut donc pas un accord de paix[4]. Le pays restait ainsi en guerre. Or, il est presque impossible de développer un pays en guerre.

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Crédit photo: http://ispb.univ-lyon1.fr/Lyon%20Kaboul/album_photos/mai_2004/index.htm

L’accord prévoyait aussi un gouvernement sous dominance américaine. Tout comme les Afghans résistèrent contre l’URSS, ils n’accepteront pas la domination des États-Unis[5]. Arrive alors l’accord de Londres, en 2006 qui se concentre plutôt sur une dimension économique et sécuritaire. En effet, la priorité n°1 en Afghanistan est la sécurité[6]. Pour cela, il faut que les Taliban déposent les armes et que les forces internationales suffisent pour sécuriser le pays. Mais même huit après le premier accord de Genève en 2002 qui a établi les cinq « piliers » de la sécurité (réforme militaire, réforme de la police, désarmement et démobilisation, éradication des trafics d’opium, le système judiciaire[7]), cela n’est toujours pas le cas[8].

Malgré les mesures, les problèmes en Afghanistan restent nombreux. Restaurer l’économie sera dur dans un pays où 57% de la population a moins de 18 ans, où les 18-35 ans ont peu de possibilité d’emplois face aux Pakistanais et Iraniens vivant en Afghanistan, plus qualifiés[9].

Au niveau social, il y a également beaucoup de problèmes. Par exemple, en 2003, 1,9 million de réfugiés reviennent en Afghanistan, apportant le savoir-faire de leur pays d’accueil  (principalement le Pakistan et l’Iran). Néanmoins, la plupart se reposent sur l’infrastructure déjà fragile. La situation ne s’arrange donc pas.

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Réfugiés revenus d’Iran ou du Pakistan, sans emploi.

Crédit photo: http://www.rawa.org/kab-jan05/kab-jan05_7.htm

La condition afghane montre que l’aide internationale n’est pas toujours adaptée à toutes les situations. Les fonds, en période de crise, furent insuffisants par rapport à d’autres pays. À ce titre, entre 1999 et 2001, le Timor Oriental reçut l’équivalent de 256$ par habitant, la Bosnie entre 1995 et 1997 249$, l’Afghanistan entre 2002 et 2003 seulement l’équivalent de 67$ par habitant. Bien que sa population soit supérieure à celle des deux autres pays, cela reste trop peu[10]. De plus, le financement est mal géré : entre 2002 et 2004, 1 milliard de dollars sera déversé pour l’Afghanistan mais sera en majorité usurpé par les seigneurs de guerre[11].

Le manque de compétence et d’expérience joue sur l’échec de l’aide. Ainsi, les États-Unis et le Canada, faute de savoir-faire et de données, ne réussirent pas à développer l’Afghanistan. Par exemple, les États-Unis reconstruirent une école juste après l’invasion. Les Canadiens durent la rebâtirent deux fois par la suite : une première après une attaque des Taliban, une seconde quand l’armée canadienne elle-même la détruisit dans un combat[12]. Le manque de savoir-faire rend ainsi toute aide vaine. De plus, à ceci s’ajoute le manque de coopération de la population qui ne peut pas faire confiance à ces acteurs extérieurs dans le développement de leur pays.

Un autre problème est l’absence de sécurité. Comme nous l’avons vu plus haut, c’est une dimension importante du développement. Il est important que les Afghans soient en sécurité pour travailler, étudier etc., tout comme doit l’être le personnel des ONG, de l’ONU et de toute autre organisme en Afghanistan soit en sécurité pour le développer. Il est par exemple déconseillé aux Provincial Reconstruction Teams (PRT) de se déplacer sans escorte, elles sont même avisées d’éviter les contacts avec la population[13]. Dans ces conditions, il est impossible d’aider l’Afghanistan.

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Enterrement de deux employés de l’ONU tués en octobre 2009.

Crédit photo: http://www.unmultimedia.org/photo/detail.jsp?key=6&query=Eric%20Kanalstein&lang=en

En Afghanistan, l’aide a une nouvelle dimension politique. En effet, la frontière entre armée et aide est floue. Le personnel de l’aide est ainsi autant ciblé dans une attaque que les soldats. Il est victime d’assassinats ou d’embuscades comme ce fut le cas en 2003 pour des membres de l’UNHCR[14]. Le personnel de l’aide passe plus de temps à se protéger qu’à aider à cause de la militarisation de l’aide. Le seul « espoir » réside dans l’Union Européenne qui a une approche moins militarisée de son aide, comme c’est le cas pour la France par exemple[15].

Nous pouvons conclure que, malgré des accords, l’aide internationale ne peut pas vraiment développer l’Afghanistan car, globalement, elle n’est pas adaptée à la situation et tout est à reconstruire. Les trois enjeux majeurs à corriger au plus vite sont la culture du pavot, les mines antipersonnelles et l’écart subsistant entre le gouvernement et les Afghans.

Bibliographie

Cornish, Stephen. 2007. « No Room for Humanitarianism in 3D Policies: Have Forcible Humanitarian Interventions and Integrated Approaches Lost their Way ? ». Journal of Military and Strategic Studies 10 (automne).

Eterline, Andrew J., J. Michael Greig. 2008. « Against all Odds ? the History of Imposed Democracies and the Future of Irak and Afghanistan » En ligne. http://www.psci.unt.edu/enterline/against-all-odds-v5.pdf (page consultée le 13 janvier 2010)

Haider, Habib et François Nicolas,. 2006. Afghanistan : Reconstruction et Développement. Gémenos : Autres Temps.

Johnson, Chris et Jolyn Leslie. 2004. Afghanistan, the Mirage of Peace. Londres et New York : Zed Books.

Marsden, Peter. 2003. « Afghanistan: the Reconstruction Process ». International Affairs 79 (no 1) : 91-105.

Rotberg, Robert I. 2007. Building A New Afghanistan. Washington D.C. : Brookings Institution Press.


[1] Eterline, Andrew J. et Michael Greig. 2008. Against all Odds ? The History of Imposed Democracies and the Future of Iral and Afghanistan. En ligne. http://www.psci.unt.edu/enterline/against-all-odds-v5.pdf (page consultée le 13 janvier 2010)

[2] Habib Haider et François Nicolas, Afghanistan : Reconstruction et Développement (Gémenos : Autres Temps, 2006), 185.

[3] Chris Johnson et Jolyn Leslie, Afghanistan, the Mirage of Peace (Londres et New York : Zed Books, 2004), 162-65.

[4] Chris Johnson et Jolyn Leslie, Afghanistan, the Mirage of Peace (Londres et New York : Zed Books, 2004), 16 et 162

[5] Ibid., 162.

[6] Habib Haider et François Nicolas, Afghanistan : Reconstruction et Développement (Gémenos : Autres Temps, 2006), 193-94.

[7] Ibid., 175.

[8] Chris Johnson et Jolyn Leslie, Afghanistan, the Mirage of Peace (Londres et New York : Zed Books, 2004), 16.

[9] Robert I. Rotberg, Building A New Afghanistan (Washington D.C. : Brookings Institution Press, 2007), 6.

[10] Habib Haider et François Nicolas, Afghanistan : Reconstruction et Développement (Gémenos : Autres Temps, 2006), 178.

[11] Stephen Cornish « No Room for Humanitarism in 3D Policies: Have Forcible Humanitarian Interventions and Integrated Approaches Lost Their Way ? » Journal of Military and Strategic Studies 10 (2007), 19.

[12] Ibid., 25-26.

[13] Chris Johnson et Jolyn Leslie, Afghanistan, the Mirage of Peace (Londres et New York : Zed Books, 2004), 19.

[14] Ibid., 105.

[15] Stephen Cornish « No Room for Humanitarism in 3D Policies: Have Forcible Humanitarian Interventions and Integrated Approaches Lost Their Way ? » Journal of Military and Strategic Studies 10 (2007), 30-37.

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04 2010

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