VIOLENCE ET PAUVRETÉ À GUATEMALA CITY : CONTRECOUPS DU DÉVELOPPEMENT URBAIN

Par Paméla Blais

Mon dernier billet avait pour thème le développement communautaire pratiqué dans de petits villages mayas au Guatemala. Or, ce pays en voie d’industrialisation fait aussi face à un exode rural de plus en plus important vers les villes, principalement vers la capitale Guatemala City qui compte plus de 11 millions d’habitants[1]. Cette expansion urbaine est sans doute le fruit de l’industrialisation et du développement économique et représente un élément essentiel dans le processus de transition vers la modernité comme l’aurait proposé Walt W. Rostow[2].

Pourtant, l’augmentation de la population dans les villes n’a pas que des effets positifs sur la société guatémaltèque et celle de bien d’autres pays latino-américains. On remarque en fait dans nombreux de ces États une forte hausse de la criminalité, de la violence et de l’insécurité publique dans les grandes villes, concentrée dans les quartiers les plus défavorisés[3]. Il semble qu’au lieu d’avoir incité à la modernisation, l’urbanisation aurait plutôt encouragé un sous-développement. Nous nous sommes donc interrogés pour la rédaction de ce billet sur cette problématique de violence et de sous-développement urbain et sur les solutions diverses pouvant y être apportées.

Guatemala Election Violence

Crédit photo: http://www.daylife.com/photo/002Jdnr9RkgX1

De nos jours, le Guatemala urbain fait effectivement partie d’une région des plus violentes du monde où, d’après un sondage de Latinbarometro de 1996, 67% des citoyens de la ville auraient au moins un membre de leur famille qui aurait été victime d’un assaut, d’une agression ou d’un autre genre de crime[4]. Certains voisinages, ou plutôt des banlieues aux allures de bidonvilles, font aussi face à de graves problèmes de pauvreté, d’accès aux ressources telles que l’eau et l’électricité, à l’inégalité, à la délinquance et à la faiblesse des établissements d’éducation et de santé[5].

La violence et le crime présents au pays mènent inévitablement, selon le politicologue Orlando J. Pérez, à un sentiment d’insécurité sociale et à la fragilisation de la démocratie. Ce phénomène serait en grande partie attribuable à la militarisation de l’État, au manque de ressources et à la corruption de la police, de l’armée et du gouvernement. Après le conflit armé des années 1980-1990, des accords pour la démilitarisation de l’État avaient été signés. Toutefois, l’armée est toujours présente dans les rues de Guatemala, portant armes prêtes à l’utilisation, afin de garantir cette sécurité publique qui ne semble pas pour autant être assurée. En fait, l’armée contribue elle-même à propager cette insécurité chez les citadins, et le taux de criminalité n’en est pas moins diminué[6].

Guatemala Violence

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Afin de pallier à cette situation d’instabilité et de criminalité urbaine ainsi que de parvenir à un réel développement social, Pérez propose quelques solutions se rapprochant à l’idée d’un développement par le haut. Il souligne entre autres la nécessité que l’État intervienne en adoptant des politiques de sécurité publique non-militaires et des réformes judiciaires basées sur de fortes valeurs démocratiques ainsi que l’établissement de meilleures relations entre les communautés urbaines elles-mêmes[7].

Par contre, l’auteur ne s’attarde pas à l’intervention de différents acteurs sociaux, tels que les Organisations internationales (OI) ou les Organisation non-gouvernementales (ONG), qui peuvent aussi participer à l’amélioration des conditions de vie en ville et à la baisse de la criminalité. Par exemple, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) a décidé de s’impliquer activement au Guatemala, dans un programme spécial lancé en mars 2010, dans la lutte contre le crime organisé, la corruption, la pauvreté, le trafic humain et d’autres problèmes urbains liés selon les experts des Nations unies à la gouvernance inefficace du pays[8].

Dans un ordre d’idées similaire, la chercheuse Emily Grant met l’accent sur la gravité de la pauvreté et de l’inégalité dans le sous-développement des banlieues de Guatemala City. Plusieurs communautés urbaines, dont celles de La Verbena et Ciudad Real, présentent effectivement des conditions d’extrême pauvreté où l’accès au travail et l’amélioration des conditions de vie est très difficile[9]. L’auteure propose de son côté des solutions au problème plus centrées dans le milieu et, contrairement à Pérez, de développement par le bas.

Un peu dans la même logique que pour les communautés rurales mayas, Grant propose une participation active des membres des communautés urbaines dans l’élaboration de projets de développement. Ces citoyens devront travailler main dans la main avec des institutions de l’État telles que FOGUAVI (Fondo Guatemalteco para Viviendas), le fonds guatémaltèque pour le logement, ainsi que des ONG, des OI et même des partis politiques qui offrent leur aide en échange de support électoral[10].

L’auteure conclue néanmoins que ces stratégies communautaires ne se substituent pas à de bonnes politiques sociales et économiques pour assurer un environnement de vie meilleur. La situation dans les communautés urbaines défavorisées aurait en fait peu été améliorée depuis la mise en place de tels projets. Grant soutient toutefois qu’une fois l’acquisition d’une volonté politique, d’une cohésion entre les citoyens et les autres acteurs et d’un certain degré de sécurité, le développement communautaire sera beaucoup plus efficace[11].

En somme, l’éradication ou du moins l’amélioration du sous-développement urbain au Guatemala relié à la violence et à la pauvreté est actuellement peu probable, étant donné l’inefficacité de l’État guatémaltèque. Peu importe la stratégie de développement adoptée, il semble que ce soit au gouvernement de faire sa part des choses, en réalisant l’ampleur du phénomène et en mettant sur pied des politiques et réformes sociales s’attaquant au cœur du problème. Encore là, on peut se demander si ce n’est pas le gouvernement même qui a d’abord besoin d’être réformé afin de devenir plus transparent et efficace.

Bibliographie

Grant, Emma. 2002. « Social Capital and Community Strategies: Neighbourhood Development in Guatemala City ». Development and Change 32 (no. 5): 975-997.

Pérez, Orlando J. 2003. « Democratic Legitimacy and Public Insecurity: Crime and Democracy in El Salvador and Guatemala ». Political Science Quarterly 118 (no. 4): 627-644.

Rostow, Walt W. 1975. « Les cinq étapes de la croissance ». Les étapes de la croissance économique. Paris : Seuil, chapitre 2 : 13-32.

United Nations Office on Drugs and Crime. 2010. « UNODC assists Guatemala to tackle organized crime ». En ligne. http://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2010/March/unodc-assists-guatemala-to-fight-organized-crime.html (page consultée le 31 mars 2010).


[1] Grant, p.979.

[2] Rostow, p.21

[3] Pérez, p.636.

[4] Pérez, p.636-637.

[5] Grant, p.980.

[6] Pérez, p.631.

[7] Pérez, p. 643.

[8] United Nations Office on Drugs and Crime, en ligne.

[9] Grant, p.980.

[10]Grant, p.986-991.

[11]Grant, p.995.

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04 2010

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