LE GUATEMALA DANS LE SYSTÈME-MONDE

Par Paméla Blais

Afin de boucler la boucle de ce projet blogue sur le développement et le Guatemala, j’ai décidé de voir plus grand. En tentant de mettre en application une vision globale, j’ai voulu étudier le Guatemala comme entité du système-monde, qui se définie, selon son concepteur Immanuel Wallerstein, par un système social cohérent doté de règles de légitimation, d’une structure et de frontières, et qui relie les différentes régions du monde. Ce système, à la base de ce que l’on considère la mondialisation, aurait émergé avec l’extension du mode de production capitaliste et du marché international[1].

photo1 billet5

Photo 1 : http://piccoloverdeelfo.files.wordpress.com/2009/11/guate_globalizacion.png

Je me suis ainsi interrogé sur la place que le Guatemala occupait dans notre monde globalisé, sur la manière dont il était dépendant de ce système et comment cette dépendance contribuait au sous-développement du pays. Deux chercheurs se sont penchés sur le sujet et ont rédigé des textes des plus pertinents. D’abord, j’analyserai brièvement les propos de Carol A. Smith, qui interprète la dépendance du Guatemala dans le système international, et ensuite ceux de Christopher Chase-Dunn, qui s’est interrogé sur la mondialisation et le développement du Guatemala.

Selon l’anthropologue C. A. Smith, le Guatemala est le parfait exemple de sous-développement, tel que considéré par la théorie de la dépendance. Dans un article rédigé en 1978, elle affirme que le Guatemala devient de plus en plus dépendant de l’économie internationale. Elle semble en effet relier de très près le fait pour un pays d’être dépendant et celui d’être sous-développé, voire d’être exploité par le reste du monde. S’inspirant des théories néo-marxistes proposées par Frank et Wallerstein, populaires à l’époque, elle suppose que la dépendance du Guatemala et son sous-développement sont attribuables non pas à l’exportation de biens, mais à la division du travail du mode de production capitaliste et au statut de périphérie du pays[2].

Smith suppose ainsi que le cœur de la problématique du sous-développement guatémaltèque réside dans la production capitaliste du café au 20e siècle. En effet, l’apparition du travail salarié et l’organisation commerciale des marchés ruraux reliée à la production de café auraient créé une dépendance du Guatemala envers cette unique industrie lucrative[3]. De là, seraient apparues de nombreuses inégalités sociales entre les détenteurs des modes de productions et les travailleurs de plus en plus exploités par la quête de productivité et de profits[4]. Ainsi, le Guatemala serait tombé dans un sous-développement jamais vu, dont on ne sait comment il va pouvoir s’en sortir. Cette interprétation néo-marxiste semble apporter quelques éléments notoires à la compréhension du sous-développement guatémaltèque actuel, mais se restreint beaucoup à l’unique production de café sans offrir de solution ou de perspective d’avenir.

L’analyse du sociologue Christopher Chase-Dunn reflète une vision similaire, mais plus contemporaine de la mondialisation et de la place qu’occupe le Guatemala dans le système-monde aujourd’hui. Bien que le Guatemala soit un pays riche en ressources et ne fasse pas partie des pays les plus pauvres, on y retrouve un des plus grands fossés entre riches et démunis[5]. Chase-Dunn explique ce sous-développement également par le capitalisme, spécifiquement par le néolibéralisme et son interprétation néocoloniale, c’est-à-dire l’imposition d’une idéologie propre du nord au sud, qui serait évidemment inapproprié. Il fait ainsi référence à Wallerstein, puisqu’il identifie le Guatemala comme la périphérie par rapport au centre, représenté par l’Occident et les Nations Unies[6].

D’autre part, le sociologue mentionne que le Guatemala a suivi la vague de mondialisation et que son histoire a fortement été influencée par les États-Unis et les Nations Unies (notamment par son implication dans le processus de paix de la guerre civile), ce qui fait de ce pays un membre intégré du système-monde aux niveaux politique, social, culturel et économique. Cette intégration internationale a permis au pays d’adhérer à des organisations internationales ayant pour but d’améliorer la situation sociale, par exemple pour les droits des indigènes, des travailleurs, des femmes et de l’environnement[7].

L’argumentation de Chase-Dunn mène au constat final que le Guatemala doit renforcer ce mouvement internationaliste pour se développer et suivre la voie de la démocratisation. En effet, comme d’autres chercheurs en matière de développement, l’auteur a constaté que le Guatemala devait se mobiliser contre le système-monde capitaliste afin de se développer et que deux solutions étaient possibles : se détacher de celui-ci («delinking») ou adhérer à la mondialisation par le bas («globalization from below»). Comme la première option est difficilement applicable, nous l’avons vu avec l’échec du communisme soviétique, Chase-Dunn s’est arrêtée à la deuxième[8].

En pratiquant la mondialisation par le bas, les mouvements sociaux guatémaltèques et de partout ailleurs seraient unis pour les enjeux mondiaux afin d’avoir plus de poids et d’instaurer de réels changements. On transférerait ainsi la responsabilité du développement des élites aux peuples du monde. Néanmoins, Christopher Chase-Dunn l’avoue, ce concept n’est que théorique pour l’instant, puisque les mouvements sociaux doivent d’abord s’attarder aux problématiques locales et nationales. Il garde toutefois espoir parce que, comme il le dit, la démocratie globale commence à la maison, dans les mentalités[9].

Bref, il me semble que le Guatemala soit au cœur d’un problème systémique insoluble. Dépendant du marché international capitaliste, responsable de son sous-développement, ainsi qu’influencé par toutes les facettes de la mondialisation, il est difficile de voir où le pays se dirige. J’ai l’impression qu’un renforcement des mouvements sociaux sera bénéfique, mais que c’est aussi, et surtout, par l’implication du gouvernement et la mise en place de politiques sociales et économiques qu’une démocratisation et qu’un développement durables seront possibles.

Bibliographie

Chase-Dunn, Christopher. 2000. « Guatemala in the Global System ». Journal of Interamerican Studies and World Affairs 42 (no. 4): vi-126.

Smith, Carol A. 1978. « Beyond Dependency Theory: National and Regional Patterns of Underdevelopment in Guatemala ». American Ethnologist 5 (no. 3): 574- 617.

Wallerstein, Immanuel. 1974. The Modern World-System: Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century. New York: Academic Press.


[1] Wallerstein, p.229.

[2] Smith, p.574.

[3] Smith, p.601.

[4] Smith, p. 611.

[5] Chase-Dunn, p.109.

[6] Chase-Dunn, p.119.

[7] Chase-Dunn, p.110.

[8] Chase-Dunn, p.123

[9] Chase-Dunn, p.124

About The Author

admin

Other posts by

Author his web site

02

05 2010

Your Comment