LES TROIS PLAIES DE L’AFGHANISTAN D’AUJOURD’HUI

Par Delphine Meunier

Après la chute des Taliban (un Talib, des Taliban[1]) fin 2001[2], la communauté internationale tente, avec le gouvernement afghan, d’aider l’Afghanistan. Or, le pays ne connut que la guerre ces trente dernières années. L’enjeu est donc de taille. Cependant, seuls trois problèmes majeurs font vraiment obstacle à la reconstruction de l’Afghanistan : il s’agit du fossé qui sépare le gouvernement des Afghans, la question de l’opium et enfin celle des mines anti-personnels. Nous allons voir en quoi il est crucial de trouver une solution à ces trois problèmes.

Il est impossible de développer un pays si son gouvernement est loin de tout contact avec sa population. L’État ne peut pas, par exemple, connaître la situation des habitants et agir en conséquence. Cet écart se traduit notamment par l’absence d’institutions, de police, ou de tout autre établissement étatique. C’est le cas en Afghanistan où l’État n’est présent que dans la capitale Kaboul. D’ailleurs, le président afghan Karzai est surnommé « maire de Kaboul » tant le pouvoir gouvernemental est faible dans les provinces[3]. De même, cette absence a un impact sur l’opinion des Afghans. À cet égard, ce gouvernement si lointain, réfugié à Kaboul, corrompu (l’Afghanistan est 117ième sur 159 pays au niveau de la transparence politique selon l’Index du Développement Humain de l’ONU[4]) et qui n’aide en aucun cas la population n’a aucune légitimité aux yeux des Afghans[5]. De plus, cet éloignement a une conséquence très grave sur la sécurité du pays.

En effet, un gouvernement qui ne subvient pas aux besoins de sa population n’est que plus propice au retour des Taliban. Ces derniers n’ont effectivement rien à craindre d’un État absent ou d’une aide internationale mal organisée[6]. Ainsi, en 2007, ils sont de nouveau très présents en Afghanistan. De plus, ils ont changé leur méthode d’approche. Avant 2008, l’embuscade et l’échange de tirs étaient leurs principales armes. Après 2008, bombardements et attentats-suicides deviennent leurs nouvelles méthodes. Voici un aperçu des conséquences de ces changements : en 2008, les accidents augmentent de 31% par rapport à 2007. Les morts civils haussent de 40%, passant de 1 500 à 2 118 cas. Il y eut 75% plus d’accidents en janvier 2009 qu’en janvier 2008[7]. Par conséquent, il est vital de renforcer uniformément les institutions pour que l’État soit capable de soutenir sa population et de faire obstacle aux Taliban.

Par ailleurs, qu’est-ce que peut faire le gouvernement contre les Taliban ? Comme l’affirme le général Stanley McChrystal, les Taliban ont des revendications politiques que l’État n’écoute pas. Or, il existe en Afghanistan une tradition : les combattants sont toujours prêts à changer de camp. Ainsi, si par exemple l’État examine leurs requêtes politiques, les Taliban seraient prêts à abandonner la violence. Ils auraient aussi la possibilité de réintégrer aussi dignement que possible la société[8].

Une autre solution possible est d’attaquer la base des Taliban, soit leur financement. Ceci nous amène au deuxième enjeu : l’opium. La culture du pavot, fleur utilisée pour produire l’opium, est une source de revenus considérable pour les Taliban[9]. Éradiquer cette culture les affaiblirait de façon conséquente. Toutefois, la culture du pavot, très importante, a de nombreux autres impacts.

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Champ de pavot.

Crédit photo: http://www.life.com/image/57172834

L’Afghanistan est le premier producteur mondial d’opium. Il produit de nos jours presque 100% de l’opium du Moyen-Orient et 80-90% de l’opium qu’on trouve en Europe. Ceci s’explique par le peu d’entretien que requiert la fleur et à quel point il est facile de la cultiver. C’est ainsi une source sûre de revenus. De fait, 28 des 32 provinces afghanes cultivent le pavot[10]. Au niveau économique, l’opium est très important. Par exemple, en 2004, 4 475 tonnes sont produites. Il y en avait pour 2 800 millions de dollars, soit presque 60% du PIB[11]. Cette drogue est donc la base de l’économie afghane. De même, comme c’est une source sûre de revenus, la pauvreté a baissé. Des bazars s’ouvrent, les habitants peuvent se permettre d’acheter des vêtements, des voitures. Des cliniques sont construites[12]. Bien entendu, il faut éradiquer la culture du pavot. Cela permettrait d’affaiblir les Taliban. Toutefois, la culture du pavot produit tellement d’argent, et nourrit tant de personnes, qu’il faut la remplacer par autre chose de tout autant profitable. Mais quoi ?

Le troisième enjeu est celui des mines anti-personnels (MAP). L’Afghanistan est le pays le plus miné de la planète[13]. Ce n’est pas étonnant, puisque le pays ne connaît que la guerre depuis trente ans. Cela fragilise considérablement le pays. On estime qu’il reste entre 5 et 7 millions de mines à déterrer. Il y a ainsi environ une mine pour trois Afghans[14]. Comment construire une route ou un bâtiment si la zone n’est pas sûre ? Comment développer un pays où un tiers de la population risque de marcher à tout moment sur une mine ? Heureusement, selon MAPA (Mine Action Programme of Afghanistan), d’ici 2011, 70% du pays devrait être déminé[15]. Toutefois, les MAP restent un obstacle flagrant au développement.

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Le drapeau rouge signale la présence de mines dans la zone.

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Les Afghans sont un peuple qui a énormément souffert. Trente années de guerre ont réduit à néant la moindre trace de développement. Les trois défis cruciaux à relever sont le fossé entre le gouvernement et la population, la culture du pavot et les MAP. Les Afghans gardent espoir car ils sont par tradition un peuple optimiste et combattant. Comme dit un de leur proverbe : « L’eau qui coulait autrefois dans le fossé coulera de nouveau »[16]. La prospérité d’antan suivra les désastres.

Bibliographie

Bearak, Barry. 2000.  » Kandahar Journal; Every Step Is a Risk in Booby-Trapped Backyards », New York Times (New York), 16 juin.

Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010).

Haider, Habib et François Nicolas,. 2006. Afghanistan : Reconstruction et Développement. Gémenos : Autres Temps.

Jonhson, Chris. 2004. Afghanistan. Dorset : Oxfam Country Profile.

Jonhson, Chris et Jolyon Leslie. 2004. Afghanistan: The Mirage of Peace. New York : Zed Books.

Mine Action Programme of Afghanistan. 2009. 1387 MAPA Annual Report. New York : Mine Action Programme of Afghanistan.

Ourdan, Rémy. 2010. « McChrystler : « Les Taliban Ne Sont Pas Si Forts » » New York Times (New York) 30 mars.

Rasanayagram, Angelo. 2003. Afghanistan: a Modern History. New-York : I.B. Tauris

Robert I. Rotberg, dir. 2007. Building A New Afghanistan. Washington D.C. : Brookings Institutions Press.

Sahel. 2004. Farsi/Dari Proverbs Translated in English. En ligne. http://www.afghantime.com/index.php?name=PNphpBB2&file=viewtopic&t=242&start=0&postdays=0&postorder=asc&highlight= (page consultée le 20 avril 2010)


[1] Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010), 15

[2]Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010), 18.

[3] Angelo Rasanayagram, Afghanistan: a Modern History (Londres, New-York : Tauris, 2003), 258.

[4] Robert I. Rotberg, « Renewing the Afghan State » dans Robert I. Rotberg, dir., Building a New Afghanistan (Washington D.C. : Brookings Institution Press, 2007), 7.

[5] Habib Haider et François Nicolas, Afghanistan : reconstruction et Développement (Génénos : Autres Temps, 2006), 125.

[6] Rémy Ourdan, « McChrystal : « Les Taliban Ne Sont Pas Si Forts » », Le Monde (Paris), 30 mars 2010.

[7] Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010), 21.

[8] Rémy Ourdan, « McChrystal : « Les Taliban Ne Sont Pas Si Forts » », Le Monde (Paris), 30 mars 2010.

[9] Hekmat Karzai, « Strengthening Security in Conteporary Afghanistan: Coping with the Taliban » dans Robert I. Rotberg dir., Building a New Afghanistan (Washington D.C. : Brookings Institution Press, 2007), 68.

[10] Chris Jonhson et Jolyon Leslie, Afghanistan, The Mirage of Peace (Londres : Zed Books, 2004), 111-18.

[11] Ewans, Martin. 2010. Afghanistan: History. En ligne. http://europaworld.com/entry/ag.hi (page consultée le 13 janvier 2010), 20.

[12] Chris Jonhson et Jolyon Leslie, Afghanistan, The Mirage of Peace (New York : Zed Books, 2004), 118.

[13] Chris Jonhson, Afhanistan (Dorset : Oxfam Country Profile, 2004), 38.

[15] Mine Action Programme of Afghanistan, 1387 MAPA Annual Report (Mine Action Programme of Afghanistan, 2009), 5.

[16] Sahel. « Farsi/Dari Proverbs Translated in English », (2004) En ligne. http://www.afghantime.com/index.php?name=PNphpBB2&file=viewtopic&t=242&start=0&postdays=0&postorder=asc&highlight= (page consultée le 20 avril 2010)

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